Page:Schoebel - Le Naturalisme du Rig-Veda et son influence sur la sur la société indienne.djvu/27

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 21 —

on en mangeait surtout lorsqu’il s’agissait de traiter un hôte. L’usage de tuer la génisse en honneur de cet être cher à tous les peuples primitifs, était tellement établi qu’il laissa sa trace dans la langue et que l’hôte fut appelé gôghna, de , bœuf, vache[1].

Il n’est pas si aisé de dire, comment, en partant de cet état de choses, les Hindous ont pu arriver à considérer comme une suprême souillure de manger de la chair de bœuf, souillure qui à leurs yeux égale l’impression que nous ferait éprouver la vue d’un repas de cannibales[2]. Voici ce que j’en sais. Dès les premiers temps la vache jouissait d’une grande considération ; elle était la principale richesse des pasteurs ariens, c’était leur mère nourricière. De là, les images aussi variées que hardies qu’elle inspire aux chantres védiques ; ils la voient partout, dans tout ce qui est fécond en résultats désirés : dans les nuages à cause de la pluie, dans la terre à cause des moissons, dans les flammes du foyer, parce qu’elles servent à préparer la nourriture, dans les rayons du soleil, parce qu’ils mûrissent les récoltes, dans l’aranî[3] parce qu’elle engendre le feu, dans le sacrifice parce qu’il est le producteur par excellence, dans la prière qui rend les dieux favorables, dans la parole parce qu’elle enseigne les devoirs, etc., etc.[4]. De cet état de symbole universel, état qui marque si visiblement le point de départ de la superstition d’aujourd’hui, il a dû cependant s’écouler un grand nombre de siècles pour arriver à considérer la vache comme un être divin. Car quoiqu’on ne puisse formuler en chiffres l’espace de temps qu’il y a entre le Rig-Véda et le Mânava-Dharma-Sâstra, il y a cependant certitude philologique pour le dire très-considérable. Eh bien, à l’époque où fut rédigé ce code, l’action de tuer une vache n’était point encore qualifiée de crime, c’était seulement un délit secondaire[5], et assimilé à ce que nous appelons homicide par imprudence. Aussi, une pénitence de quelques mois, renforcée par une amende, suffisait-elle pour expier le fait[6]. Mais ensuite, au temps de Koullouka, qui vivait

  1. Wilson, Dict. sansc., 376.
  2. Jacquemont, Journ. iii, 331.
  3. Ce sont ces deux morceaux de bois dont l’un tournant dans l’autre, en fait jaillir la flamme. Manière d’allumer le feu de tous les peuples primitifs.
  4. Rig-Véda, passim.
  5. L. de Man., xi, 59, 66.
  6. L. de Man., xi, 108-116.