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de ce jardin » ? Et elle de lui répondre : « Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin ; quant au fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Elohim a dit : « N’en mangez pas, n’y touchez pas, vous pourriez en mourir, themuthûn ». Ainsi, au mode positif : tu mourras, thamôth[1], la femme, sous l’empire de la passion, substitue le mode infléchi du conditionnel, c’est-à-dire une négation in nuce du crime qui l’attire, et avec satisfaction, cela va de soi, elle entend le serpent lui prophétiser : « Vous n’en mourrez pas. Mais Elohim sait qu’aussitôt que vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront ; vous serez comme Elohim, ke elohim, connaissant, le bien et le mal. »

On peut saisir ici la raison du mythe si répandu dans l’antiquité qui douait le serpent du don d’une prophétie toujours fallacieuse et menteuse, et attirait au prophète par excellence, Pythios, la qualification de loxias, d’obliquant. La vérité est que tout prophète philippise comme le serpent de Delphes, qu’il rend, comme le serpent du paradis, des oracles intéressés, et que, dupe et victime comme Ève, l’homme ne cesse d’ajouter foi aux paroles ambiguës du séducteur. Comment lui échapper d’ailleurs ? Ne tient-il pas, comme l’Edda le dit de Jörmungandr, le serpent de Midgard, Midgardsormr, le monde enserré dans ses plis[2] ? N’en est-il pas le génie qui dispense la vie et la mort, qui en porte la source dans son propre corps ? Ève mangea donc du fruit défendu, et en même temps, le mouvement de la chair ayant aussi saisi Adam,

  1. Genèse, III, 17.
  2. V. dans l’Edda de Snorri, Gylfaginning, 34, I, p. 105. C’est, du reste, un mythe spécial, et je n’entends pas, directement du moins, rattacher ce serpent, ainsi que l’Ananta indien, au serpent du paradis.