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pudeur, ni que la pudeur n’a jamais à se voiler devant la nature. Le mot qu’on attribue à Livie, « qu’à une femme chaste un homme nu n’est pas plus qu’une image[1] », ce mot ne s’est peut-être jamais réalisé. Ce qui paraît possible, sinon au sentimental Yorick[2], du moins à l’héroïque Alexandre, c’est l’inverse. Plutarque rapporte du grand conquérant[3] qu’à un certain moment de sa vie, il passait auprès des femmes comme devant des statues. En effet, on ne devrait rougir que de ce qui est honteux en soi[4]. Il n’en est rien cependant, et de la sorte la sentence précitée n’est vraie pour les anciens que dans le domaine de l’idéal, alors qu’il s’agit d’art, de poésie ou d’esthétique transcendante. Hors de là, elle se trouve soumise chez les peuples civilisés de l’antiquité, sinon aux mêmes réserves que chez nous, du moins à toutes celles que l’honnêteté publique est en droit de réclamer. Aux enfants, en Grèce comme à Rome, on inculquait sévèrement le sentiment de la pudeur ; Aristophane et Juvénal nous le disent[5], et on peut les en croire. L’attentat à la pudicité était vengé par les mœurs autant que par la

  1. Viros nudos… pudicis mulieribus hos nihil a statuis differre. (Dion Cassius, Hist. rom., LVIII, 3, vol. II, 876, éd. Reimar.)
  2. « Si j’en trouvais dans cet état, dit-il, je les couvrirais d’un manteau, pourvu que je susse comment il faudrait m’y prendre. »
  3. Ὡοσπερ ἀψύχους εἰκόνας ἀγαλμάτων παρέπεμψεν. (Plut., Alex., XXI.) V. aussi l’impassibilité du philosophe Xénocrate, sur le sein duquel Phryné s’était couchée avec l’intention de le séduire. N’y réussissant pas, elle se vengea en disant : « J’entendais avoir affaire à un homme, non à une statue. » (Valère Maxime, IV, 3.)
  4. Assuefaciens se ne cujus ipsum rei nisi turpis puderet. (Plutarch., Cato, VI.)
  5. V. Aristophanes, Nubes, v. 973 sqq. ; Juvénal, Satir. VII, v. 237. Cf. Xénophon, République de Sparte, III.