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et de Fénelon, n’a même jamais essayé de répudier la divinisation de l’homme ou l’humain Dieu. Il ne le pouvait, car son fondateur est anthropomorphite dans l’âme ; son moi humain et Dieu ne font qu’un ; Jésus l’a dit, et on le croit. On le croit, parce que chacun de nous penche à croire autant de soi-même. Le christianisme est ainsi l’humanisme par excellence, et sa vraie formule serait : homo sibi Deus. C’est d’ailleurs là, qu’on ne s’y trompe pas, la raison intime de l’invincible popularité du christianisme chez tous les peuples d’une race aussi subjective que la nôtre.

Le motif de la première reproduction de l’homme, cette reproduction de la personne humaine par laquelle l’homme, à l’éveil de la passion sexuelle, a voulu faire concurrence au démiurge et se poser en face des Elohim comme un autre Jahwéh[1], ce motif, quelque inconscient qu’il soit, a donc continué d’inspirer et d’accompagner le commerce sexuel, et les hommes sont restés adonnés en diverses manières au culte de leur œuvre personnelle, au culte de l’enfant, leur propre personne au fond. Ecce Deus ! il vit ! er lebt ! tel était le cri qui accueillit Goethe au seuil de l’existence ; et cet exemple de parents s’adorant dans leur enfant est fait pour bien démontrer, par sa répétition à l’infini[2], que la substitution du moi humain à l’auteur du monde est devenue un besoin impérieux et comme une seconde nature pour nous. La voix de la conscience qui, à l’origine même de cette idolâtrie, l’avait si sévèrement

  1. D’après le Graecus Venetus, le sens de Jahwéh ne serait autre que ὁ ὀντουργός ou ὁ ὀντωτής.
  2. C’est en France surtout qu’on peut amplement vérifier le mot attribué à Anacréon, que « nos enfants sont nos dieux. »