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savoir qu’il était près de l’autel, sans songer aux brigands altérés de son sang. » (1)

Ainsi, on peut entrer dans le nirvana dès cette vie et le moyen en est l’extase. Mais il y a cent-huit sortes d’extases, ce qui ne veut sans doute pas dire qu’il y a autant de nirvânas pour arriver au meilleur, au plus sublime des nirvânas, nibbânam paramam ou uttaman, mais ce qui est du moins la preuve péremptoire et sans réplique que le nirvana ne rend pas le buddhisme synonyme de nihilisme. Il y a du moins nihilisme et nihilisme, et si, pour le buddhisme, on tient beaucoup à ce terme, il sera entendu que ce n’est pas le nihilisme allemand, si désolant dans l’expression que lui a donnée Max Stirner (2), ni surtout le nihilisme russe sans honte et sans vergogne (3). Le nihilisme buddhique est l’égalité radicale des êtres, et l’extase complète qui éteint jusqu’au principe de la pensée et qu’on appelle dhyâna pâramitâ, la perfection de la contemplation, est le fruit de l’héroïsme moral, la perfection de la sagesse, prajnâ pâramitâ. Elle est indispensable pour entrer dans le nirvana définitif, et indispensable dès lors aussi est l’anéantissement mental du sujet, la foncière abolition de l’orgueil du moi et partant du moi lui-même, puisque le moi est adéquat à l’égoïsme.

J’ignore si cet état d’extinction de tout sentiment personnel est ou

(1) Vie et Voyages de Hiouen Thsang, liv. III, p. 118.

(2) Qui se formule dans ce vers ïambique : « Ich hab’ mein sach’ auf nichts gestellt, j’ai mis mon espoir dans le néant. » Le livre n’est cependant pas aussi « épouvantable » qu’un critique timoré a voulu le dire. C’est un brillant et spirituel paradoxe que la souffrance d’un homme révolté contre une société qui le déclasse, jette à l’hypocrisie et à la lâcheté des heureux. Il y a donc beaucoup à prendre.

(3) M. Leroy-Beaulieu en a recueilli la formule dans la bouche d’un nihiliste russe qui, comme tous ses confrères, avait sans doute pris son parti de l’anarchie mentale dont sont en général affligés les Russes. Il définissait le nihilisme comme suit : « Prenez la terre et le ciel, prenez la vie et la mort, l’âme et Dieu, et crachez dessus. » (Revue des deux Mondes, 15 octob. 1873, p. 891).