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ses mêlées : catvâre varnâ nishâdah pancama ity aupamanyavah[1], l’existence des castes à l’époque védique dans le sens même de la théorie brâhmanique serait certaine. Mais celui-là se fourvoierait étrangement qui suivrait en aveugle ledit commentateur brâhmanique. Sayana est un scolastique orthodoxe et n’est pas autre chose. Ce que les hymnes nous permettent seulement d’affirmer, c’est que le sentiment dans lequel les brâhmanes ont ancré leur théorie et grâce auquel ils ont pu édifier et achever le système, est réellement védique. Le sentiment panthéiste, auquel il faut toujours revenir en ce sujet, est un des traits les plus caractéristiques de la race aryenne et, particulièrement, l’histoire l’a prouvé, de la branche indienne de cette race. S’il est une divinité dépuré qualité védique, c’est assurément Aditi, l’innocente Aditi, dont le symbole est la vache[2], animal sans malice alors même qu’elle est enragée. Eh bien, « Aditi (est) le ciel, Aditi (est) l’atmosphère, elle (est) la mère, le père (et) le fils. Aditi (est) tous les dieux ; Aditi (est) les cinq tribus, Aditi (est) ce qui est né ; Aditi (est) ce qui naîtra[3] ».

On a là le principe et la source de toutes les conceptions panthéistes subséquentes de l’Inde. D’Aditi à Brahmâ, il n’y a pas loin, et on y va comme sur un tramway. Déjà même le rôle de Brahmâ est rempli dans le védisme, quant à l’essentiel du moins, par Varuna, le fils d’Aditi, putro aditeh[4], le plus éminent (prathamâ) des Adityas, dont le vent est le souffle ou l’esprit, atmâ te vâto[5], comme la Bible le dit d’Elohim, le Varuna hébraïque. Varuna est le ciel, la terre et l’océan, sah samudrah[6] ; il embrasse tout, il engendre tout, il règle tout[7] ; il est le allumfasser, le allerhalter de Goethe le spinoziste ; il étend et recouvre le monde comme un vêtement ; il est comme le moyeu dans la roue : cakre nâbhir iva[8].

À Varuna, le dieu personnalisé primordial de la race et dont, à cause de cela, le souvenir s’est maintenu soit dans les prières[9], soit dans les légendes, entre autres dans celle qui lui attribue d’avoir fait émerger du fond de l’océan une côte de 220 lieues, depuis Mangalore jusqu’au cap Comorin[10] ; à Varuna, qui convenait à une période de naturisme

  1. R. V. vol. I, p. 721.
  2. V. le Grihyas de Pârask., I, 3. 27 : « mâ gâmanâgâm aditi vadhishta, ne tuez pas la vache, l’innocente Aditi. » Ils la tuent tout de même et la mangent, mais en l’honneur des dieux, des mânes ou d’un hôte. Ce qui est, paraît-il, bien différent.
  3. Aditir dyaur aditi antariksham aditir mâtâsapitâsa putrah, viçve devâ aditih panca janâ aditir jâtam aditir janitvam. (R. V., I, 89, 10 ; I, p. 720.)
  4. Ibid., IV, 42, 2, 4 (III, 201 sq.).
  5. Ibid. VII, 87, 2 (IV, 216).
  6. Ib. VIII, 41, 8 (IV, 611) ; V, 85, 6 (III, 560). Cf. VII, 49, 3 (IV, 100).
  7. Ib. I, 24, 7-10 (I, 246) ; V, 85, 1-5 (III, 558) ; VI, 70, 1 (III, 880).
  8. R. V. VIII, 41, 6, 7 (IV, 610).
  9. V. par ex., l’espèce de litanie qu’on lit dans le grihyasûtra I, 5, 10, de Pâraskara.
  10. V. la légende chez Graul, Reise in Ost. I, 226. Cf. Jonath. Duncan, Historical Remarks on the Coast of Malabar, dans As. Research., V, p. 1 ; 1799.