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instituer l’hérédité des charges sacerdotales, et voilà la première caste déjà presque créée.

Il est certain, en effet, que, impossible sans l’hérédité des fonctions, la caste existe virtuellement du moment où cette hérédité se trouve légalement établie. C’est uniquement parce qu’elle n’a pas pu se réaliser en Égypte au point d’y devenir obligatoire, que ce pays n’a pas véritablement connu le régime des castes. Il n’y avait que la royauté qui avait en Égypte, pays si semblable d’ailleurs à l’Inde quant à la religion et à la morale[1], le caractère rigoureusement exigé pour qu’une catégorie sociale s’institue caste et cela, parce que les pharaons, par l’esprit panthéiste propre à l’Égypte, étaient arrivés à passer pour les fils de Ra. Ainsi ils étaient la divinité même, les documents ne manquent pas qui le confirment[2]. Mais la personne du pharaon, titre dont nous ne connaissons pas encore au juste le sens[3], la personne du pharaon étant unique et sa dignité héréditaire ne prêtant ni à l’incertitude ni à la confusion, la caste royale ne pouvait jamais devenir en Égypte un motif pour parquer en castes les autres classes de la nation. Cependant Ramsès III, treize siècles avant J.-C., après l’expulsion des Pasteurs, est censé l’avoir essayé. Il n’y réussit pas, mais dans l’Inde toutes les conjonctures étaient favorables. D’abord, la corporation des personnes sacerdotes fort nombreuse, nous venons de le voir, si elle n’avait été entourée d’une barrière infranchissable, aurait été sans cesse exposée aux empiètements théologiques et aux usurpations fonctionnelles des rajabandhus ou kshatriyas. Mais le cumul non déguisé de deux pouvoirs aussi différents que le spirituel et le temporel ne pouvait être bien vu par un peuple séparatiste et particulariste comme le peuple indien. Puis, cet esprit isolant aidant, l’œuvre de la conquête de l’Inde, la conquête finale surtout des Bhâratides, avait laissé les divers clans dans un état psychologique favorable au fatalisme théologique de la doctrine qui enseignait l’émanation de l’humanité d’un dieu panthée. Divide et impera, avait dit l’ambition des rois ; divide ut imperes, avait opiné le machiavélisme des prêtres ; mais ces maximes, pour réussir jusqu’à réaliser la caste telle que la pratique l’Inde, ont dû trouver à s’appuyer sur un génie natif sui generis. Or le trait spécial des Aryas indiens, répétons-le, était un panthéisme parti-

  1. Le panthéisme de la religion des anciens Égyptiens est hors de doute. Virgile l’a poétiquement représenté sous la forme de Protée, se jouant sous mille aspects changeants, variæ eludent species (Georgica, IV, 387 sqq.), et il apparaît directement dans le Rituel funéraire (ch. XVII) comme aussi dans l’hymne du temple de Hib, publié et trad. par Brugsch, en 1878. Quant à la morale égyptienne, inscrite dans les papyrus hiératiques, elle est aussi fastidieusement minutieuse de prescriptions que la morale indienne dans les çâstras brahmaniques (Cf. Brugsch dans Verhandlungen der 23 Versammlung deutscher Philologen, 1872, p. 162.)
  2. Une inscription de Ramsès IX, entre autres, qui date de l’an 1205 av. notre ère, puis celles du temple de Hip.
  3. Il est certain du moins que des égyptologues comme Lepsius, de Rougé, Brugsch, ne sont pas d’accord sur le sens du mot. Le premier l’interprète « le grand prince. » (Denkm., 111, 146) ; les autres « grande maison. (J. A. 1870, p. 177.) »