Page:Schoebel - Inde française, l’histoire des origines et du développement des castes de l’Inde.djvu/79

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 71 —

On le présente comme le conservateur de l’ordre général, maha ritasya dhartari[1], comme le bon pasteur, sugopâ[2], et, principalement, comme le père de tous les brâhmanes : viçveshâm ij janitâ brahmanâm asi[3]. Mais le mot brahmanaspiti prête à l’équivoque, et, grâce à cela, le brâhmane peut, sans avoir l’air d’y toucher, s’identifier avec le dieu de sa création. Le pra minam brahmanaspatir mantram vadaty ukthyam[4] paraît se rapporter à l’officiant autant qu’au dieu. C’est une conjecture que les autres hymnes au nombre de treize, qui, habilement distribués dans le contenu entier du Véda, chantent spécialement Brahmanaspati, semblent grandement confirmer. Ce qui est certain, c’est que le brâhmane a réussi à inscrire déjà dans le Véda la divinité de sa personne ; il s’y qualifie carrément dieu, sa devo[5], et même père des dieux : devânan yah pitaram brahmanaspatim[6].

L’équivoque persiste quand il s’agit d’appliquer exactement le mot brihaspati[7]. Toutefois cette incertitude est pour notre sujet sans conséquence ; il nous suffit de savoir que, grâce aux fauteurs des textes, la rhétorique du Véda prépare déjà fortement la future situation des brâhmanes, en nous les montrant qui nourrissent tous les hommes[8], et distribuent aux dieux leur part en sacrifice : devâs cit te brihaspate yajniyam bhâgam ânaçuh[9]. Le grand Agastya, dit un hymne censé être des plus anciens[10] et déjà cité plus haut, le rishi Agastya a nourri les deux varnas, les Arvas et les Dasas. Cependant malgré tout et quoiqu’il intrigue pour arriver à pouvoir dire : « Die welt sie war nicht eh’ ich sie erschuf », le brâhmane, à l’époque où nous sommes, ne fait pas encore, théocratiquement, bande à part ; on le voit qui se mêle volontiers avec le râjanga, avec le râjâ et lui accorde « famillionèrement », quand le râjanga est devenu râjâ, le titre de demi-dieu, ardhadeva[11] ; il combat aussi à ses côtés et tue avec lui, hanti râjabhir[12]. Mais déjà, son véritable roi à lui étant Soma, il réclame la part léonine du butin fait sur l’ennemi. N’est-ce pas caractéristique de la prééminence déjà établie du prêtre ? Le roi est d’ailleurs censé reconnaître la supériorité

  1. R. V., II, 23, 17.
  2. Ib. st. 5. N’est-ce pas caractéristique des religions que leurs fauteurs ont tous en si médiocre estime les fidèles qu’ils les comparent aux moutons (ou brebis), schafe ?
  3. R. V. Ib. st. 2.
  4. « Maintenant le Brahmanaspati dit le mantra-uktha ». (R. V. I, 40, 5 ; I, 393.)
  5. R.-V. II, 24, 11 (II, 535).
  6. Ibid. II, 26, 3 (II, 542).
  7. L’équivoque est particulièrement embarrassante dans certaines strophes des hymnes II, 24 (st. 10) et IV, 50 (st. 7 sqq.) vol. III, 224. On ne sait si Brihaspati vise dans ces passages le dieu ou le prêtre.
  8. Ibid. X, 28, 11 (V, 521).
  9. Ib. II, 23, 2 (II, 520).
  10. Ib. I, 179, 6 (II, 356).
  11. R. V. IV. 42, 8, 9 (III 201)
  12. Ib. I, 40, 8 (I, 395).