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cessivement introduit[1], pour qu’il restât chose ferme et stable à jamais, par le texte sacré le plus vénéré, que l’origine du régime social brahmanique remonte à la création de l’humanité, il est probable que les preuves de l’existence des castes à l’époque védique, existence que quelques indianistes soutiennent encore, se trouveraient réduites à zéro. Invoquer pour cette existence, comme le fait Ludwig, certains hymnes du dixième Mandala, n’est vraiment pas sérieux[2]. Sans doute, le 10me mandala fait partie intégrante du Rik, car l’élément primitif n’y manque pas ; mais quoi ! est-ce que le panthéisme brahmanique ne s’y étale pas trop crûment pour que nous puissions hésiter à dire que lesdits hymnes y ont été interpolés à une époque où ce n’est plus le védisme mais le brâhmanisme qui régnait sur les âmes ? L’âge védique, je me permets de l’affirmer de nouveau, l’âge védique n’a pas même connu la caste sacerdotale, ni à plus forte raison la caste brâhmanique. Les brâhmanes sont des tard-venus, ce sont, pour dire le mot, des intrus dans la société védique. Leur entrée sur la scène religieuse s’annonce dans les hymnes par des essais de substitution du nom de brahmâ, puis de brâhmana, aux noms spéciaux des sacerdotes. Primitivement, alors que les desservants de l’autel ne formaient pas même encore une corporation, on spécifiait les servants de l’autel, on disait c’est un hotar, un adhvaryu, un udgâtar, etc., suivant la fonction de l’officiant ; mais à mesure que, par l’influence de la tribu des Bhâratas, à laquelle appartenaient les brâhmanes, la société, de libre quelle était, tendait à se faire théocratique, le prêtre bhâratide s’appliquait à absorber tous les pouvoirs spirituels et religieux et son nom suffit à tout. Et déjà, comme nous le disions plus haut, on peut voir un signe avant-coureur de l’encastrement social en catégories héréditaires, à commencer, comme de naturel, par les prêtres, dans la distinction des chantres sacrés en familles éponymes, tels que les Védas et leurs rituels présentent les Vasishthas, les Atrayas, les Kanvas, les Viçvâmitras, etc., puis dans la jonction de plusieurs de ces groupes sacerdotaux en une seule. Ainsi les Gritsamedas, de la famille d’Angira, se joignent à la famille de Bhrigu ; la famille de Viçvâmitra, qui était très en vue, adopte et englobe nombre de familles relativement obscures. Pouvait-on mieux préparer le terrain pour l’établissement du régime de la caste ? Pour en faire une réalité, il fallait seulement trouver un dieu qui pût en faire les frais.

Triomphe de la science théologique ! on trouva le dieu en l’inventant, et son nom fut d’abord Brahmanaspati et aussi Brihaspati, le roi suprême de la prière brahma : jyeshiharâjam brahmanâm brahmanaspata[3].

  1. Un des meilleurs védistes, Herm. Grassmann, a fait de remarquables efforts dans ce sens. Toutefois ce n’est encore qu’un essai.
  2. V. Abhandl. der böhmischen Gesellschaft der Wissenschaften, t. VIII. p. 36 ; 1877.
  3. Rig-Veda, II, 23, 1 (II, 519). — La Brihadâranyaka up., I, 20, 21, explique le premier nom par : le maître du brahma (la parole), et le second par : le maître de la brihati (un mètre védique).