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dont les hymnes nous ont conservé les noms, les Anavas, les Yâdavas, les Druhyus, les Pûrus, les Turvaças, les Bhalânas, les Pakthas, les Çivâs, les Alinas, les Vishâninas, etc., n’accomplirent pas leur exode toutes ensemble et comme en bloc. C’est un réseau de rudes montagnes, entrecoupé de périlleux défilés que celui que dressent, entre le Wakhan et l’Indus, les ramifications de l’Hindoukoh. Pour surmonter de si grands obstacles orographiques, compliqués d’autant de difficultés hydrographiques[1], il a fallu à coup sûr des siècles aux pasteurs. De leur côté, les tribus iraniennes durent avoir à lutter aussi de longues années contre les sables de vastes déserts. Qu’on en juge sur le laps de temps qu’il a fallu aux Goths pour arriver des côtes de la Baltique au Danube inférieur. Et cependant ce peuple n’eut à traverser que les plaines et les forêts marécageuses de la Prusse, de la Pologne, de la Galicie et de la Moldavie. Il y mit plus de deux siècles, et il est certain qu’il allait par bandes séparées.

La première tribu aryenne qui atteignit l’Indus, précédant des siècles les pasteurs védiques, proprement dits, fut sans conteste, je crois, celle des Çûdras. Mais sur les rives de l’Indus elle dut s’arrêter, et elle s’y arrêta si longtemps, qu’elle y prit racine pour ainsi dire et s’y établit à demeure. Le souvenir de leur qualité d’Aryens ne se perdit cependant pas parmi les Çûdras ; il y eut un temps, nous l’avons déjà remarqué, où les Perses désireux de franchir l’Indus dans un but de conquête, firent alliance avec nos riverains. Or, de part et d’autre, on n’aurait guère pu songer à contracter une alliance de cette nature, si un sang apparenté n’eût fait entendre sa voix par une même langue, différenciée seulement comme le sont deux dialectes, et si, en conséquence, les adorateurs d’Ahura-Mazda et du grand Asura n’avaient reconnu que, sous une transformation théologique considérable, se cachait un même dieu primitif commun : le démiurge qui se tenait sur les grandes eaux de la patrie primordiale, le viçvakarma, l’ouvrier universel, Varuna.

C’est Varuna, sous la forme d’Agni-Mithra, qui avait marché devant les Aryas lors de leur exode, comme Jéhovah devant les Israélites[2], et c’est son souffle qui leur avait frayé la route à travers les déserts de sable et les cols des montagnes. Varuna, en effet, était l’atmosphère toujours agitée, la mer aérienne, ce qui, par suite, lui a valu d’être identifié avec la mer terrestre, l’océan : sah samudrah.

Aux Çûdras, qui, par le fait de leur long isolement avaient assez négligé les mœurs aryennes, pour mériter d’être traités par les nouveaux

  1. Dans la marche que fit Alexandre de la Bactriane sur l’Indus, le grand conquérant fut rudement éprouvé par les difficultés topographiques de la contrée. (V. Droysen. Gesch. Alex, des Gr., II, 104 sqq. ; éd. 1877).
  2. Dominus præcedebat eos,... per diem in columna nubis, et per noctem in columna igni. (Exod., XIII, 21.)