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deux classes, l’une des riches qui commandent, l’autre des pauvres qui servent, et ces deux se subdivisent en mille, et ces mille ont encore des nuances différentes[1] ». C’est ce qu’on vit dans l’État qui fut en Europe, de meilleure heure que tout autre, un modèle d’organisation civile et politique. J’ai nommé l’Athènes de Solon ; c’est ce qu’on vit aussi à Rome, où Servius Tullius divisa le peuple en six classes, d’après la fortune de chacun. Les habitants qui ne possédaient rien, rentraient à Rome comme à Athènes dans une classe qui se trouvait exclue de tout emploi. Déclarés incapables de servir la chose publique même comme soldats, les prolétaires ne comptaient dans la République romaine, pendant au moins quatre siècles, que pour mémoire.

Il est heureux que nous ayons changé tout cela au sens que Périclès le déclara pour Athènes aux funérailles des braves tombés à je ne sais plus quel combat. Mais on a beau dire, voire proclamer solennellement que les hommes, tant qu’ils sont, naissent libres et égaux, la réalité, plus forte que la déclamation, est que nous naissons seulement pour être libres et égaux. Et encore est-ce bien sûr ? Réalisera la liberté et l’égalité qui pourra. En attendant, la division de la société en différentes classes est fondée en droit naturel. Ce qui est malheureux, c’est que partout on abuse de ce droit sans honte ni vergogne. L’abus des divisions sociales va si loin… en Chine et aux îles Tonga, que dans ce dernier pays où, cruelle ironie géographique ! on est dans l’archipel des Amis, l’admission au paradis et l’ordre de préséance céleste se décident par le rang terrestre du défunt. Ceux qui n’ont ici-bas, dans ces îles fortunées… de nom, ni sou ni maille, la loi les relègue après leur mort dans des demeures souterraines, où plantes, poissons et daims sont maigres et de taille chétive. Aux îles Sandwich et surtout dans l’archipel de Viti, que les Anglais prononcent Fidji, la séparation des classes est si prononcée qu’elle en arrive presque à un système de castes. La première division ne renferme que le souverain et sa famille ; la deuxième comprend les gouverneurs des grandes îles ; la troisième, les prêtres et les chefs des villages ; la quatrième, les guerriers ; la cinquième, le peuple ; la sixième, les esclaves, prisonniers de guerre. Chez les Natchez… Mais trêve d’exemples. Qui ne sait que la position extérieure des individus est l’élément social dominant chez toutes les nations et que, partout et toujours, par l’hérédité, par la fortune, par la faveur, par l’instruction ou autrement, l’homme a tenu à rendre la séparation qui en résulte durable et perpétuelle comme une loi de la nature. Un des arguments les plus fréquemment produits à ce sujet est je ne sais quelle qualité inhérente au sang[2]. J’ignore ce qu’il

  1. Voltaire, Questions sur l’Encyclopédie, art. Égalité, p. 86, éd. 1771.
  2. En conséquence le sang seul peut laver certaines injures, celle par exemple qu’on fait chez les Tibbu à celui qu’on appelle forgeron. Car les forgerons forment chez ce peuple une caste comparable à celle des Pariahs dans l’Inde. (V. Zeitsch. der Gesell. f. Erdkunde zu Berlin, V, 312).