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Mais ce passage et autres analogues n’infirment pas notre remarque ; en tout cas, il n’est pas prouvé que les chefs, au temps védique, fussent déjà séparés du peuple, la viç, de manière à former une catégorie sociale revenant à l’état de noblesse héréditaire. Ce qui est prouvé, c’est que tous les Aryas se considéraient déjà alors comme un peuple d’élite au point que la barrière infranchissable qu’évoque le mot caste, se trouvait de fait, établie entre eux et les aborigènes, les peuples à la peau noire, tvacan krishnân, sans œuvres saintes, avratân,[1] créés excommuniés, avratyas. Ce n’est pas le mot varna à cause du sens de couleur qu’il a, qui a servi d’abord à désigner les gens à la peau plus ou moins foncée, dans l’intention de faire de ce terme le synonyme de caste. Le mot varna, au propre, couverture, s’est au contraire appliqué en principe aux Aryas, à l’épiderme blanc, et, spécialement, aux Bhâratides favorisés de l’épithète çvityancah, que le commentateur explique par çvetavarna[2]. Le varna n’a pu désigner dans l’origine que la peau par excellence, la peau claire, car Agni est présenté avec cette couleur et le dieu en fit la faveur à ses croyants[3]. Aussi est-il dit que Indra tuant les Dasyus, protégea le varna, la blanche peau des Aryas : indrah hatvi dasyûn pra aryan varnam âvat[4].

On conçoit d’ailleurs à merveille que la peau blanche a dû être pour nos ancêtres, comme elle l’est encore aujourd’hui aux yeux de la plupart de leurs descendants, en Amérique surtout, un signe de pureté de sang et de race, et que, par suite, les uns étant blancs çveta ou çukla, et les autres de teint foncé, dhûmra iva[5], ou tout noirs, krishna, le mot varna, couleur, ait paru le terme le plus propre pour marquer la différence de tribu dans une seule et même famille ethnique. On peut admettre en effet, les Bhâratas et les çûdras le prouvent d’ailleurs sans réplique, que parmi les Aryas primitifs, il y eut déjà des classements sociaux provoqués par la couleur de l’épiderme. Par exemple, le chantre du 179me hymne du premier mandala, applique évidemment l’expression de « deux couleurs, ubhau varnau » dans un sens qui vise une séparation quelque peu voisine de celle de la caste[6] proprement dite.

En attendant, il y a caste et caste, et la différence entre la caste ethnique ou même civile et la caste théologique ou théocratique est énorme. À tout considérer et les varnâni védiques admis, on voit que les castes, à l’époque des hymnes, sont encore à l’état de jâtayas ou clans. Rien ne nous dit que l’unique hymne qui désigne les brâhmanes, les kshatriyas et les vaiçyas comme représentants des trois états sociaux, entende par là

  1. R. V., I, 130, 8 (II, 72).
  2. R. V. I, 130, 8 (II, 72).
  3. Ib. II, 4, 5 (II, 438).
  4. Ib. III, 34, 9 (II, 845). Cf. Il, 3, 5 (II, 432).
  5. Dhûmra brun, rouge, fuligineux, de dhu brûler, Cf. dhuvana feu et fumus fumée.
  6. Agastyah… ubhan varnau rishir ugrah pupoya, le redoutable rishi Agastya a nourri les deux couleurs (R. V., 1, 179, 6 ; II, 356).