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Il y a plus. Nous lisons dans les Purânas que les kshatriyas tirent leur origine de divers fils ou petits-fils de Manu. Dhrista et Karusha, deux des fils de Manu, furent les ancêtres de kshatras par les Dhârshtakas et les Kârushas[1], et un des petit-fils, nommé Nâbhâga, passa pour ses œuvres à l’état de vaiçya, karmanâ vaiçyatân gatah[2]. Prishadhra, autre fils de Manu, qui était kshatriya, suivant le Mahâbharata[3], en ce qu’il accomplissait le kshatradharma, mais gardeur de vaches, selon le Bhâgavata, deux états qui peuvent se concilier dans un « pasteur des peuples[4] ; Prishadhra devint çûdra pour avoir tué, involontairement, akâmatan, la vache de son guru.[5] » Mais, qui fut l’ancêtre du brâhmane ? On ne le devinerait certes pas, si un passage, échappé à l’œil, dirait-on, des expurgateurs du Harivança, ne nous le disait. La souche des divins brâhmanes furent deux vaiçyas, fils de Nâbhâgârishta : nâbhâgârishtaputran dvau vaiçyau brâhmanatân gatau[6], et cette tradition n’est pas en contradiction avec celles du Vayu et du Lingapurâna qui assignent aux brâhmanes, pour ancêtres immédiats, les kshatras : kshatraprabhûtâ[7]. L’origine des kshatras, les nobles, n’est en effet et ne saurait être que dans la viç, le peuple. Le kshatra sort de la viç, dit le Çatapatha[8], ce qui n’empêche pas le même brâhmana de déclarer plus loin que Brahmâ créa hors de pair, atyasrijata, le kshatra, d’exquise nature, çreyo rûpam atyasrijata hshattram[9], qu’aucun dieu n’est plus grand que le kshatra, que le brâhmane même lui est inférieur : tasmâd brâhmanah kshatriyam adhastad. Le kshatra seul rend pleinement gloire à Brahmâ, kshatra, eva tad yaço dadhâti, Brahma même est le lieu de naissance (la yoni) du kshatra : saisha kshatrashya yonir yad brahma, et qui le conteste, est un grand pécheur : sa pâpiyân bhavati. Le kshatra a créé la viç et la caste nourricière des çûdras : sa viçam asrijata, sa çaudran varnam osrijata pûshanam[10].

Dieu nous garde de contester au kshatriya tous ces titres qui font admirablement justice de la théorie brâhmanique des castes ; mais nous n’en conserverons pas moins précieusement, pour la même raison, le témoignage du Çatapatha, que le kshatra sort de la viç, et celui du

  1. Vishnu Pur., IV, 1, 13 ; 2, 2 ; — Bhag. Pur., IX, 2, 16.
  2. Bhag-Pur., IX, 2, 23. Vishnu-Pur., IV, 1, 14.
  3. Mahâbh., I, 75, 3141 : Kshatradharmaparâyanam.
  4. Aujourd’hui encore une des dynasties rajputes les plus riches de l’Inde, les rois de Baroda, portent le titre de guicovar, gardeur de vaches, et s’en fait gloire. (Rousselet, l’Inde des Rajahs, dans le Tour du Monde, XXI, p. 239).
  5. Bhag-Pur., IX, 2, 9 ; — Vish-pur., IV, 1, 12.
  6. Harivança, XI, 658.
  7. Kshatropetâ dvijnâtayah (Vishnupur, IV, 22. — Cf. Wilson, Vish-Pur., III, p. 258 ; éd. 1866.)
  8. Catapathabrâh., XII, 7, 3, 8.
  9. Ibid XIV, 4, 2, 23 ; éd. Weber, II, p. 1052.
  10. Ibid. — Nous verrons plus tard comment les rusés brâhmanes ont su faire tourner à leur profit l’importance des kshatriyas.