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Après ces sûtras ou fils conducteurs en morale, religion et science plus ou moins patentés, il y a les sûtras libres, s. g. d. g., et dont les principaux sont connus sous le nom d’upanishats. Plusieurs de ces traités théologico-philosophiques sont fort anciens ; ce qui est visible déjà, parce qu’ils ne parlent pas des castes et n’y font pas même allusion. Cependant elles discourent de omni re scibili et quibusdam aliis, ni plus ni moins, que Pic de la Mirandole[1], Pantagruel, puis Michelet, professeur à l’Université de Berlin[2].

Maintenant que nous disent sur les castes les brâhmanas et les sûtras ? Comme il est à peu près indifférent, à cause de la méthode amalgamante qui a présidé à leur rédaction définitive, de les consulter dans n’importe quel ordre, du moins en ce qui concerne notre sujet, j’ouvre d’abord un Purâna et je lis dans un des plus importants de ces livres d’histoire mythique, le Bhâgavata, ce qui suit : « Le brâhmane (est) la bouche du Mahâtmâ, le kshatra ses bras, la viç ses cuisses, la caste noire, krishnavarnah (est) formée de ses pieds[3]. » Et un peu plus loin : « Le brâhmane forme la bouche de Purusha, le kshatra ses bras, le vaiçya (vient) des cuisses du seigneur (bhagavat), le çûdra est sorti de ses pieds[4]. » Puis, amplifiant le thème, la légende met dans la bouche de Manu les paroles que voici : « Brahmâ, dont le Véda forme l’essence, vous a, dans le désir de se conserver lui-même, créés (brâhmanes) de sa bouche. Ce dieu, dont les pieds sont sans nombre, nous a créés, nous (les kshatras) de ses mille bras pour vous protéger. En effet, on appelle brâhmanes son cœur et les kshatras son corps[5]. »

Pour compléter le renseignement, il faut citer encore le passage que voici de la sixième lecture :

« De la bouche de Purusha, ô descendant de Kuru, sortit le brahma (i. e. le Véda) et le brâhamane qui, pour (avoir été produit) le premier, fut

  1. On attribue ce mot à Pic de la Mirandole, mais rarement les mots historiques, les mots ailés, comme on les appelle, ont été dits dans la forme qu’on les cite. Il en est ainsi de celui-ci. Le jeune savant avait affiché 900 thèses (sûtras) qu’il s’offrait à soutenir publiquement de omni re scibili. Un plaisant ajouta : et quibusdam aliis. Du reste ces thèses ne furent pas soutenues, parce que la Curie romaine y flaira des hérésies. Cela se passait en 1486, et Pic n’avait pas 24 ans. Mais qu’est-ce que Pic en comparaison de Pantagruel qui « mit conclusions un nombre de 9764 en tout sçavoir, en la ruë du Fouarre ». (P. II, 10.) rue qui existe encore. C’est une ruelle sombre et humide, côtoyant l’ancien Hôtel-Dieu, où, au xiie siècle, s’alluma la grande dispute scolastique des nominalistes et des réalistes, dans laquelle brilla cet Abailard qui prend sa place entre Platon et Kant, dont il est le lointain précurseur dans l’idéalisme critique. C’est donc une rue historique au premier chef, et, à ce titre, elle m’attire et j’aime à y passer de temps en temps.
  2. « Liest über jede beliebige disciplin ». (Voir les programmes de semestre.)
  3. Bhâgavata purâna II, 1, 37. Hérodote déjà remarque qu’il y avait une tribu indienne qui portait le nom de Noirs, καλαντίαι (III, 38). Ils avaient les mœurs barbares de leur congénères les Padéens, dont nous avons parlé ci-dessus.
  4. Purushasya mukham brahma kshairam etasya bahâvah urvor vaicyo bhagavatah padbhyân çûdro vyanjâyata. (Ib. II, 5. 37).
  5. Brahma’ srijat svarn ukhato yushmân âtma paripsasa, etc. (Ib. III, 22, 2, 3).