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On trouve dans l’ouvrage de l’abbé Dubois un chapitre qui traite exclusivement de l’origine des castes[1]. L’auteur estime, comme Robertson[2], que le système date de la plus haute antiquité, et il fonde son opinion non sur un sentiment d’Anglais constitutionnel suivant l’Act de 1716, mais : 1° sur le sentiment des auteurs grecs et latins qui ont parlé de l’Inde ; 2° sur l’attachement inviolable des Indiens à leurs principaux usages ; 3° sur l’argument des livres indiens, que Brâhma créa les castes au moment même où il donna des habitants à la terre.

Ces raisons, dans l’espèce, ne soutiennent pas l’examen. Le sentiment des anciens ne pèse pas gros dans la balance du sujet dont il s’agit. L’esprit du discernement historique manquait aux Grecs, et, peut-être, plus encore aux Romains. Sans doute, c’est un Grec, le vénérable Hérodote, qui passe pour être le père de l’histoire, et son apologie par H. Estienne tend à montrer que les choses étranges que rapporte le vieil écrivain d’Halicarnasse, ne sont pas plus invraisemblables que bien des faits dont nous sommes les témoins. Néanmoins, il est certain que la foi que mérite Hérodote ne lui est due qu’en ce qu’il rapporte les choses telles qu’il les avait entendu raconter. Quant à rattachement inviolable des Indiens à leurs principaux usages, il y a des réserves à faire. Non seulement les Indiens ont changé la forme de la constitution castale au point que les quatre castes fondamentales sont depuis des siècles à peu près introuvables[3] ; mais l’assertion de l’abbé Dubois est encore démentie par le fait même de l’établissement du régime. En effet, avant d’avoir connu les castes canoniques, les Indiens ont connu et pratiqué un autre régime social, le régime qu’on peut appeler le régime féodal. La date n’en est pas si reculée que l’Inde n’en conserve la tradition vivante, littérairement du moins. Les hymnes védiques, où ce régime apparaît dans tout son éclat, continuent à être expliquées dans les écoles. Et c’est se tromper tout à fait que de dire qu’une nouvelle coutume est regardée « comme une chose inouïe » dans l’Inde[4]. Il est patent qu’aucun peuple, pas même les peuples celtiques, les dissenters par excellence, n’est plus enclin à former de nouvelles sectes[5] et à créer par suite de nouvelles associations, que le peuple indien. L’Inde est bien la terre idéale du particularisme ; cela va jusqu’à devenir chaotique, et n’était l’autorité toujours respectée des brâhmanes, l’Inde, depuis longtemps, ne serait plus, comme unité, qu’une expression géographique. Pour ce qui est du

  1. J. A. Dubois, Mœurs, Institutions et Cérémonies des peuples de l’Inde, I, 1re partie, ch. IV.
  2. Robertson, An historical, etc., p. 258.
  3. V. Graul, Reise, etc., I, 61.
  4. Dubois, ouvr. c., p. 47 sq.
  5. V. Wilson, Sketch of the religious sects of the Hindus, dans Asiatic Researches XVI. Cf. Lassen, Ind. Alt. IV, 594-643.