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titre de serfs ou d’esclaves[1], comme des êtres diaboliques[2] dont un Arya de sang pur et orthodoxe par-dessus le marché, pouvait, en sûreté de conscience, s’approprier en outre tout ce qu’il possédait[3].

Au reste, Bohlen voit dans le fait de la confusion des castes pendant les saturnales annuelles de Jaggernat, et qu’avaient signalées déjà Bernier, Tavernier, Paterson[4] et autres, ce qu’y a vu Robertson, à savoir qu’il y a eu dans l’Inde un état social antérieur à celui des castes. Mais le çûdra, aux dépens duquel s’est fait surtout le régime existant, n’a pas gardé rancune à son conquérant et oppresseur. Ceux qui ont pu échapper aux envahisseurs, ou qui n’ont pas voulu se plier au joug, ont conservé l’état des peuples aborigènes, des Khonds, des Bhills, des Pakhyas, des Sowras, des Najadis, des Badaghers, et cent autres, tous hors la loi, out-laws, quoiqu’ils occupent presque un tiers de la vaste péninsule[5].

Meiners, qui est un historien, et que, suivant l’ordre des temps, nous aurions dû citer plus tôt, Meiners a très bien vu que c’est à la conquête que le çûdra est redevable de l’état social qu’il a, et que c’est la politique des maîtres du pays qui a introduit et affermi, avec les années, le régime castal tel qu’il est toujours. Cette politique agissait suivant la maxime divide ut imperes, afin que les races diverses entre lesquelles se partageait le sol ne parvinssent, par leur union, à s’affranchir du joug de leurs tyrans : conjunctis viribus adversus tyrannos suos[6].

Il est fort douteux que la politique à la Machiavel, bien qu’elle soit aussi ancienne que la fureur de dominer, ait joué, au moins dans l’établissement du régime, un rôle aussi considérable que le pense le docte professeur de Gœttingue ; nous verrons que les castes se sont, en principe et en fait, constituées historiquement, sans plan préconçu quant à l’ensemble, sinon toujours sans ruse et sans artifice de parti pour ce qui est des détails. Pour l’instant, parlons de la longue étude qu’a consacrée aux castes un homme qui a résidé vingt-cinq ans dans l’Inde, le missionnaire Dubois. Malheureusement, il lui a manqué, de même qu’à son prédécesseur, le missionnaire Perrin, ce qui manque en général aux ecclésiastiques catholiques, mais ce que possédait à un haut degré leur collègue hérétique, le missionnaire Graul, le sens de la critique historique libre et indépendante.

  1. V. Mân. II, 31 sq.
  2. Asuryas. C’est ainsi que le Çûdra est désigné dans le Taittiriya brahmana, I, 2, 6, 7 : daivyo vai varne brâhmanah asuryah çûdrah.
  3. Visrabdham brâhmanah, çûdrâd dravyopâdânam âcaret. (Mân., VIII, 417).
  4. Bernier, Voy. II, 92 ; éd., 1830. Tayernier, Voy. aux Indes, III, ch. XI, p. 361 ; éd. 1681 Paterson, On the origin of the Hindu religion, dans Asiatic Res. ; VIII, 61. The temple of Jagannath is a famous resort for pilgrims of all sects, for it is revered by all, it is a converging point where all the contending parties unite in harmony with each other sects, otherwise so irreconciliable.
  5. V. la carte des langues de l’Inde, par mon ami le Dr Leitner, 1878.
  6. Meiners, Commentatio de causis ordinum sive castarum in India, dans Commentationes Societatis scientiarum Gœttingensis, X, 188, 1789.