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de la vache comme le premier brâhmane était sorti de la bouche du dieu que la vache représente. Mais à défaut de vache, l’argent aussi fait l’affaire, et il court parmi les Tamils le dicton : L’argent en ligne, la caste aux balayures[1].

Si maintenant nous nous enquérons de l’opinion d’Anquetil Duperron relativement à l’origine et au développement des castes, nous trouverons qu’il y voit une raison religieuse et il n’y voit que cela. Sans doute, l’élément religieux pénètre tout et se mêle à tout dans l’Inde ; les rituels bourgeois ou domestiques qui portent le nom de Grihyasûtras le prouvent sans réplique ; néanmoins il est certain, et nous le démontrerons, que le « fondement théologique de noblesse[2], de l’extraction des Brahmes, des Setreas, des Weinsjas et des Soudras du chef, des bras, des cuisses et des pieds de Brahma « n’a été posé que lorsque la question des castes s’est trouvée déjà résolue en principe par la féodalité, par un régime à la fois social et politique. Pour le moment, parlons de ce que nous dit sur le sujet le voyageur Sonnerat.

Ce correspondant de l’Académie royale des sciences de Paris explora l’Inde vers 1770, et il rattache l’origine du système des castes au grand conquérant Sésostris. Qui s’y serait attendu ! On le croit, nous dit l’auteur. Qui ? Je soupçonne que Sonnerat infère ce qu’il avance d’un on-dit des anciens Égyptiens rapporté par Diodore, suivant lequel Sésostris aurait parcouru en vainqueur toute l’Inde jusqu’au golfe de Bengale ; καὶ γὰρ τὸν Γάγγην ποταμὸν διέβη, καὶ τῆν Ἰνδικὴν ἐπῆλθε πᾶσαν ἕως Ὠκεανοῦ[3]. Supposé que cette expédition fût historique ; mais elle ne l’est certainement pas plus que celles de Sémiramis et d’Alexandre ; Ramsès Meïaroun aurait-il pu, dans une course rapide de neuf ans, ἐν ἔτεσιν ἐννέα[4], depuis l’Inde et la Bactriane jusqu’à la Thrace, imposer et faire accepter les institutions de son pays à une nation aussi différente de la sienne que la nation indienne ? Cette réflexion critique n’est pas venue à Sonnerat, quoique la critique historique fût déjà née de son temps. « C’est à Sésostris, affirme-t-il, que les Indiens doivent leur état civil et politique. Lorsque ce roi s’empara de l’Inde, il divisa le peuple en sept classes, parmi lesquelles les brahmanes ou sages tenaient le premier rang. Le corps de la noblesse formait la seconde. Les magistrats, les laboureurs, les soldats et les artisans formaient les classes qui suivaient ces deux premières[5]. »

Ayant ainsi marqué l’origine des sept castes indiennes (dont il n’énumère du reste que six), Sonnerat en dit le développement. « Quand les Brames se furent élevés sur la chute des brachmanes, ils changèrent

  1. V. Graul, Reise in Ostindien, III, 199 ; cf. I, 66.
  2. V. Anquetil Duperron, Recherches historiques et géographiques sur l’Inde, I, 206.
  3. Diodori Siculi Biblioth., I, 55, 4.
  4. Id. ib. 30.
  5. Sonnerat, Voyage aux Indes orientales, etc., I, 43.