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Là encore il y a matière à quelques observations. Il est bien vrai que même les chrétiens indigènes s’interdisent de manger de la chair de vache[1] et qu’un roast-beef fumant peut faire tomber en syncope le brâhmane le plus européanisé[2]. Mais il faut s’entendre ; si le roastbeef est préparé rite, c’est-à-dire dans un repas en l’honneur des dieux et des mânes, le brahmane le plus rigoriste et le plus orthodoxe[3] l’avalera avec la douce satisfaction d’accomplir un devoir sacré. Il n’épargnera pas même le buffle et le sanglier et un râble de lièvre fera ses délices. Quant au mouton, au daim ou la chèvre, etc., leur chair se mange en tout temps, remarque le buddhiste Hiouen Thsang relativement à la nourriture des quatre castes. Ce qui est vrai seulement dans la renommée d’abstinence de viande qu’on a faite aux Indiens, c’est que la consommation de bœuf est fort restreinte,[4] que la vache notamment est sacrée parce qu’elle représente Aditi, la divinité universelle[5].

« La quatrième caste, dit notre orfèvre, s’appelle Charados ou des Soudras, et de même que celle des Raspoutes s’occupe de la guerre ; mais avec cette différence que les Raspoutes servent à cheval, et les Charados à pied. Les uns et les autres font gloire de mourir dans les armes, et un soldat soit cavalier, soit fantassin est estimé pour jamais infâme, si dans l’occasion de combattre il lâche le pied. Le reste du peuple qui n’entre point dans l’une de ces castes est appelé Pauzecour. Ce sont tous gens qui s’occupent aux arts mécaniques, et qui ne diffèrent entre eux que par les divers métiers qu’ils exercent de père en fils ; de sorte qu’un tailleur d’habits bien qu’il soit riche, ne peut pousser ses enfants que dans sa vocation, ni les marier soit fils, soit fille à d’autres que de son métier. »

Cette description de la caste Pauzecour, mot urdu paraît-il, s’applique évidemment à une sous-caste çùdra ; mais il n’en peut être de même de ce que dit Tavernier de la caste des Alacors, qui ne s’occupent qu’à nettoyer les maisons. Tout autre s’en tiendrait souillé, et c’est une des plus grandes injures que l’on peut faire à un homme aux Indes, que de l’appeler Alacor. Il est bon de remarquer en cet endroit que chacun de ces valets ayant son office, l’un de porter le pot à l’eau

  1. V. Cornish, Report, etc. I,133. Les Parias en mangent sans difficultés. (Graul, Reise, etc. I, 240).
  2. Soltykoff, Voy. dans l’Inde, I, 168.
  3. Mân. III, 227, 257, 268, 270 sq. Cf. V. 32 sqq.
  4. Carsten Niebuhr, esprit sagace et observateur, voit dans cette abstinence habituelle de la chair de bœuf une mesure d’hygiène, et il appuie son opinion sur l’exemple des Mahométans en Égypte, en Syrie et même à Constantinople. Dans ces pays-là, les musulmans évitent de manger du bœuf, à cause, disent-ils, que cette viande est malsaine. (Voy. en Arabie, etc. II, 19 ; éd. 1780). Goethe fait une remarque analogue sur le bœuf en Sicile, et il dit qu’en certains endroits, à Caltanisetta, par exemple, il est défendu de tuer des vaches et des veaux. (Ital. Reise, 13 et 28 avril 1787). On sait que les Russes ont horreur du veau.
  5. Grihyasûtra de Pâraskara, I, 3, 27.