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pour les pâtres[1], mais les chasseurs assurément n’entraient dans aucune caste ; la cinquième, où on aurait pu les caser, n’existait pas : nâsti tu pacamah[2]. Mégasthène pouvait ignorer la distribution légale des castes, mais comment n’a-t-il pas vu que les pâtres de bas étage et les chasseurs sans exception étaient regardés alors, comme aujourd’hui, dignes de toute abjection, pratikûlam, et de tout mépris, hind[3] ? Le mépris à leur égard était commandé aux hommes méprisables même : sûte vâhyânâm api garhitam[4].

Faut-il le dire cependant ? Il est possible que dans tout cela l’esprit d’observation de Mégasthène ne se trouve pas en défaut, autant du moins qu’on pourrait le croire. Peut-être l’envoyé du « vainqueur des vainqueurs » passa-t-il le temps de son séjour dans l’Inde au milieu d’une société dont l’ancienne constitution brâhmanique avait déjà été fortement ébranlée par le buddhisme et par le bâtard qui a nom jaïnisme. Si cela était, comme on peut du moins le supposer par le règne de Candragupta, que les budhistes disent de la race de Çâkyamuni, et qui, dans tous les cas, inclinait vers une doctrine que son sang a illustrée dans la personne de son petit-fils Açoka ; puis, quant au jaïnisme, par ce que notre auteur dit des philosophes gymnosophistes, les va-tout-nus, οὗτοι γυμνοὶ διαιτῶνται οἱ σοφισταί[5], et qui, à cause de cela, portaient le surnom de digambaras, vêtus d’air ; je dis, si Mégasthène a passé le temps de sa mission dans une société qui n’était déjà plus orthodoxe au sens de la loi brâhmanique, il est tout excusable de n’avoir pas parlé du régime des castes tel que l’Inde le connut déjà à l’époque du Buddha, ainsi que ce personnage est censé le dire lui-même[6], et, tel qu’il s’est reconstitué à mesure que le brâhmanisme a repris le dessus. Si mes doutes en faveur de Mégasthène sont fondés, le système des classes sociales a dû se présenter au regard de notre diplomate dans un ordre analogue à celui que le buddhisme lui a donné au Barman, par exemple, où la population est également divisée en sept classes[7].

Mais c’est assez parler de Mégasthène. Venons-en à Strabon. Par rapport aux castes indiennes, l’auteur si étrangement malmené par

  1. Il y avait pâtres et pâtres. La garde des bœufs et des vaches, le métier de pasteur était très honorable, et les gôpâlas étaient des çûdras pour le moins. Mais ceux qui paissaient les autres animaux et avaient des chiens, çvagardabham (Mân. X, 51), animaux auxquels tous les autres Indiens ne touchent point, dit Tavernier (Voyage aux Indes, III. ch. III), ceux-là ne pouvaient pas même demeurer dans un village. Et on voit par Diodore (II, 40) que Mégasthène a eu en vue ces pâtres-là.
  2. Mân., X, 4.
  3. Ib., 31.
  4. Ibid., X, 39.
  5. Arrianis Indica XI, 7.
  6. Cf. Le poète tamil du Kural, un jaïna, ou buddhiste schismatique : « Les humains sont de nature une seule espèce. »
  7. V. Crawfurd, Journal of an Embassy to the Court of Ava, p. 95, sq.