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rares entre l’ancienne aristocratie nationale et les parvenus de la conquête. »

Voilà certes un résultat dont l’esprit brâhmanique a lieu d’être fier. C’était déjà beaucoup de jeter les indigènes dans la torpeur civile et politique, de coaguler et de figer pour ainsi dire l’état social d’un des peuples les plus distingués de la race aryenne au point que la population de l’Inde justifie l’expression sarcastique des « kristallisirtes Menschenvolk » de Méphistophélès[1] ; mais de faire subir la tyrannie du régime aussi aux Anglais et aux Français, c’est-à-dire aux esprits les plus froids et les plus sceptiques, c’est nous forcer à devenir infidèles à la maxime stoïque du « nil admirari ».


Épilogue

Je crois avoir convenablement traité tous les points du programme, et n’avoir omis aucun détail quelque peu important dans l’ensemble du sujet. J’ai montré la part que la théorie brâhmanique a dans l’origine et le développement du système. Cette part est assurément grande, mais comme on prête volontiers aux riches, on n’avait pas hésité à la grandir outre mesure et même à lui attribuer l’œuvre entière. On aurait dû réfléchir qu’une théorie si puissante et féconde qu’elle soit, ne l’est jamais assez pour créer, de piano, une grande réalité, sociale ou autre ; il y faut de plus et en premier lieu une disposition native du sujet, disposition qui par elle-même est déjà un acte qui sollicite la théorie et l’appelle. C’est pourquoi le grand poète-philosophe a dit : Im Anfang war die Tat[2], au commencement était l’action. Ce commencement que, pour la révélation du Véda, le facteur principal du régime des castes, les brâhmanes font remonter au commencement de l’âge actuel, le kaliyuga, à 3 102 ans avant Jésus-Christ, ce commencement était donné par le genre particulier du génie panthéiste des pasteurs védiques, et la constitution sociale qui en est résulté tout d’abord par le fait de la

  1. Dans on écrit publié à Londres, sous le titre : The Natives and the government of India, l’auteur, Lalmohun Ghose, juriste hindou à Calcutta, prétend qu’il s’est accompli depuis quelques années un grand changement dans l’état moral des populations de l’Inde, que ces populations acquièrent ou ont acquis le sentiment réfléchi d’une nationalité commune. J’en doute et je me range à l’avis de Renouard de Sainte-Croix, qu’il n’y a point d’esprit public parmi les Indiens ; toutes les actions y tendent au bonheur et à la satisfaction particulière. Voilà qui est vrai et exact aujourd’hui comme il y a un siècle. Le joug du régime castal n’a pas diminué d’un fétu, et tant que ce n’est pas ce joug-là qui en brisé, la vie libre et indépendante restera engourdie et inféconde dans la tombe du fatalisme théologique.
  2. Goethe éprouva par lui-même la vérité de cette maxime. Je fis essai, dit-il, dans ses Mémoires, liv. XII, de trouver une théorie d’après laquelle on pût produire. Mais cela ne réussit pas… Ceux qui en ont fait avec succès, comme Aristote, Cicéron, Quintitien, Longin, ont pris pour base l’expérience, Erfahrung.