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Nobili ![1]… Et pourquoi ne nous y conformerions-nous pas ? Si nous voulons vivre parmi les Indiens, nous devons vivre aussi comme les Indiens[2]. » Naturellement, car comme le dit un autre prêtre de la côte de Coromandel : « Si vous venez parmi les chiens, vous devez faire comme les chiens.. »

La chose étant ainsi, comment s’étonner que l’esprit de caste, au dire de feu Graul, un de nos plus savants tamoulistes, ait pénétré toute la société européenne dans l’Inde et l’ait profondément divisée[3] ? On est toutefois péniblement affecté quand on voit les missionnaires oublier à ce point les principes égalitaires de l’Évangile qu’ils sont censés prêcher, que pour rien au monde ils ne se feraient servir par des domestiques parias[4]. Mais ce qui est fait pour étonner davantage, c’est que même les Anglais, qui sont certainement le peuple doué de plus de facultés que tout autre pour coloniser, pour manier et pour éduquer les races indigènes, non seulement se trouvent frappés d’impuissance dans leur lutte de tous les jours avec le génie de la caste, mais encore se courbent sous la contagion du régime jusqu’à se constituer, à l’instar des castes existantes, en une société tout aussi hermétiquement fermée et claquemurée que la caste brâhmanique : « Les fonctionnaires anglais, dit un voyageur[5] qui a été à même de bien observer l’état actuel de l’Inde ; les fonctionnaires anglais que leur position met en rapport officiel avec l’élément indigène, se gardent bien de lui faire des avances sur le terrain des relations privées, ils le tiennent soigneusement à l’écart de leur propre intérieur, et ils en éviteront instinctivement le contact jusque dans leurs trajets en chemin de fer, où, par un détail assez caractéristique on ne verra jamais des Européens et des indigènes choisir le même compartiment. Il semble que, tout en sapant la hiérarchie de la société native, les Anglais y aient constitué eux-mêmes une caste nouvelle, fondée non plus sur la tradition religieuse, mais sur la couleur de la peau et l’orgueil de la race. Je ne connais pas, dans toute l’histoire, une domination analogue, où les alliances matrimoniales soient restées aussi

  1. Pour les agissements de Robert de Nobili et des jésuites de son temps, voy. Dubois, ouv. c. et Hough ou Marshman, A reply to the Abbé J.-A. Dubois lettres, on the State of christianity in India, p. 5 sqq.
  2. V. le discours dans Amtlicher Bericht der 20e General-Versammlung der Kathol. Vereine Deutschlands, p. 104 — Cela me rappelle une inscription de la porte Flamimienne à Rome : filia mea inter fideles fidelis fuit, inter paganos pagana fuit.
  3. « Kastengeist, der die ganze Europäerwelt durchdringt und zerklüftet. » (Graul, Reise in Ostind., III, 143).
  4. Il ne faudrait pas les excuser par la raison que les Parias sont généralement méprisés. D’abord ce n’est pas là une raison pour des chrétiens, pour ceux surtout qui prétendent au titre de successeurs des apôtres ; puis, les Parias, dans le Sud, sont parfois assez estimés pour être appelés à commander comme officiers à des brâhmanes, simples fusiliers, et ceux-ci ne croient nullement être compromis par cette obéissance. (V Perrin, Voy. dans l’Indoustan, I, 298 ; 1807.)
  5. Goblet d’Alviella, Inde et Himalaya, p. 383 ; 1877.