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pour débrouiller les divisions qu’il couvre[1] ; les formes canoniques n’en restent pas moins debout et inviolables en leur principe, le génie natif de la race. Les racines de l’institution ont pénétré si avant dans les entrailles du pays que le brâhmane a pu consentir à se placer, sans inconvénient pour l’autorité de son caractère de « dieu en terre », sous la loi commune. « Le voleur, si c’est un brâhmane, dit le code, doit être stigmatisé et chassé du pays »[2]. C’est là une hardiesse que ni Manu, ni aucun des législateurs primitifs qu’énumère Madhusûdana, n’aurait osé commettre. C’est que de leur temps, la constitution théocratique des castes venait de naître seulement, et il fallait, avant tout, inculquer au peuple le respect de l’inviolabilité pour un être qui est l’incarnation éternelle du droit, mûrtir dharmasya çâçvati[3], un objet de vénération même pour les dieux, devânâm api daivatam[4], et dont la générosité fait jouir les autres hommes du bien de ce monde[5]. Indra vénère les brâhmanes, comment l’homme ne les vénérerait-il pas[6], eux, les conseillers du dieu suprême[7] ? En conséquence, Manu et, sur l’autorité de Manu, les autres législateurs anciens disent, que « le brâhmane ne mange que sa propre nourriture, ne porte que ses propres vêtements, ne donne que de son avoir[8] », et qu’« il peut prendre ce dont il a besoin, dans la grange, dans le champ, dans la maison ou dans n’importe quel endroit : khalât, kshetrâd, agârâd vâ yato vâpy upalabhyate[9] ».

Mais ce genre de privilèges, qui était d’ailleurs difficile à maintenir sous le sceptre des musulmans et des chrétiens, les brâhmanes ont pu l’abandonner sans regret sous la forme déplaisante qu’il affectait. La prééminence de caste que la foi du peuple leur assure avec la puissance de donner l’existence à de nouveaux dieux[10], permettront toujours aux bons pères de s’assurer les équivalents de ce qu’ils pourront perdre. Œuvre de quatre âges successifs qui s’emboîtent intimement les uns dans les autres, le système des castes est bâti à chaux et à sable. Comment ne le serait il pas ! C’est en effet l’Inde elle-même, avec toutes les conditions d’existence morales et matérielles, historiques et économiques qu’elle impose à ses habitants, qui en est le principal et le véritable

  1. Caste division among the Hindus is one that would take a lil’e-time of tabor to elucidate. (Cornish Report, etc p. 116).
  2. Cauran sacihnam brâhmanan kritvâ svarâshtrad vipravâsayet. (Yajnav., II, 270.)
  3. Mânav., I, 98.
  4. Mânava. XI, 84.
  5. Anriçansyâd brâhmanasya bhrinjate hîtare janât. (Ib., I, 101.)
  6. Mahâbhârata, III, 13673.
  7. Ib. III, 8693. — Ce n’est que dans le pays tamil que la caste brahmanique a décliné dans l’estime du peuple et qu’un poète populaire a osé dire qu’il était inutile de créer les corbeaux, étant créés les brahmanes aux cœurs de pierre. (V. Ethnogr. drâv., l. c. p. 151 ; Cf. Graul ouv. c. II, 146). Mais cela s’explique ; les Tamils sont une race drâvidienne.
  8. Svam eva brâhmano bhunkte ava vaste svan dadâti ca. (Mân., I, 101.)
  9. Mânav., XI, 17.
  10. Atharva-Veda, V, 11, 11 ; p. 85, éd. Roth.