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au sens de caste, et du reste rien n’est plus logique. Le mot couleur est de ceux dont l’application va à l’infini, tout comme l’impression qu’il vise, ainsi qu’un naturaliste anglais, A. Wallace, l’a montré par d’intéressantes études.

II. Époque brahmano-védique.

Dans cette époque, le système des castes se dessine et finit par s’établir comme régime social. Comme cela est vrai pour toutes les grandes institutions nationales, pour les castes aussi les mœurs ont préparé le terrain et fait les premiers frais d’établissement définitif. La pratique de la chose a commencé, à ce qu’il semble, par suite des guerres incessantes auxquelles les Aryas établis se voyaient contraints, d’abord par les aborigènes vaincus, mais non soumis, puis par des envahisseurs congénères. Voilà une situation publique fort troublée, et elle dut aboutir dans l’Inde, comme en Europe au temps des Carlovingiens, depuis Robert le Fort surtout, à organiser dans ses formes les plus accusées cet état de la chose publique qu’on nomme la féodalité. En germe, et sous une forme qui ne raillait pas encore le sens du mot, le sentiment respectable de la foi, elle existait déjà dans la première époque, l’époque védique. Mais dans celle-ci le seigneur du haut de son château (pûr), que l’insécurité du temps l’avait forcé de bâtir, s’appliquait et parvint à faire des hommes du plat pays, jusque-là libres et quasi-égaux entre eux, des sujets taillables ou imposables, balihritah[1], des êtres mangeables, adyâh, suivant l’énergique expression de l’Aitareya[2]. Cependant le prêtre, l’homme de Dieu, dont le seigneur ne pouvait se passer, parce qu’il fallait bien vivre en paix avec Dieu quand on faisait la guerre aux hommes ; le prêtre comprit, avec la finesse que lui donne la théologie, que, si « toute puissance vient de Dieu », elle ne se légitime toutefois aux yeux du croyant que lorsqu’elle peut montrer le laisser-passer de l’autel. Si cet autel manque, on en fait un. Ce fut le cas des prêtres bhâratides. Ils inventèrent une formule qui put réaliser leurs desseins, une formule de piété dont les pasteurs védiques n’avaient jamais ouï parler, un mantra ou verset mystique et cabalistique, un vrai Zauberspruch : le brahma. Le rishi Gotama est censé l’avoir formulé le premier[3]. Cette prière nouvelle (navyam) n’a pas sa pareille ; elle est commune à la terre et au ciel : arca kshmayâ divo asaman brahma navyam[4].

  1. Te indrah kevalîr viço balihritas karat, qu’Indra fasse à toi seul tributaires les Viças. (R. V., X, 173 ; VI, p. 588. Cf. VII, 6, 5 ; III, 929.)
  2. Ait.brâh., VII. 23 ; VIII, 4. — S. Paul aussi emploie cette figure : Vous souffrez même, dit-il aux Corinthiens, qu’on vous asservisse, qu’on vous mange : κατεσθίει (ad. Corinthios altera XI, 201. Homère aussi connaît les mangeurs des peuples, δημοϐόρος.
  3. Gotamah navyam atakshad brahma. (R. V., I, 62, 13 ; I, p. 566)
  4. R. V. X, 89, 3 ; VI, 236.