Page:Schoebel - Inde française, l’histoire des origines et du développement des castes de l’Inde.djvu/102

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 94 —

tuée au pur régime des castes brahmaniques, à la suite de la disparition de la ciel de voûte sociale la plus ancienne, la caste kshatriya, et à mesure que l’obligation historique du régime s’est affaiblie dans les esprits ? N’importe cependant, le démon de la caste n’y a rien perdu, car outre que la division en main droite, en main gauche et en main neutre est aussi tranchée, qu’elle est même plus tranchée que l’ancienne division, les luttes incessantes entre lesdites catégories[1] le prouvent avec évidence, la prééminence de la caste brâhmanique, demeurant désintéressée entre les deux mains, se maintient invariable avec la rigidité théocratique originaire, telle qu’elle l’a été toujours. Et voilà la condition perpétuellement visible du système et de sa durée. Tant qu’on verra la caste des brâhmanes debout, le régime, tout en changeant de forme, ne pourra croûler.

L’autorité du brâhmane continue à être hors ligne par le respect religieux que lui porte tout Indien, ostensiblement du moins, quand même il serait libre-penseur jusqu’à manger du bœuf. On le voit assez souvent ; l’Indien ne craint pas de rompre avec toutes les lois de sa caste ; il suit même avec empressement, je crois l’avoir dit déjà, les cérémonies et pratiques religieuses des buddhistes, des jaïnas, des musulmans et des chrétiens, pensant qu’il vaut mieux en faire trop que trop peu[2].

Mais s’agit-il de faire le pas décisif, qui est, dans tous les cas, de renier l’autorité de ceux qui ne sont pas seulement nobles à ses yeux, mais qui sont des saints et des hommes célestes[3] et ont seuls le privilège de se nourrir de l’autel[4] ; puis, de pousser l’apostasie jusqu’à manger avec des étrangers ou de se faire circoncire ou baptiser, oh ! alors, à défaut de la foi religieuse nationale, se dresse menaçant et terrible, devant le renégat in petto, le préjugé social, et, fut-il un Ram Mohun Roy[5], le plus instruit et le plus éclairé des Indiens qu’il y ait eu, le courage d’accepter une déchéance qui le fera tomber au niveau du candâla ou du paria lui manquera. On sait que le célèbre pandit n’eut jamais le courage de violer, ouvertement du moins, les règles fondamentales de sa corporation et que, nommément, on ne l’a

  1. Ces luttes, qui s’allument pour les causes les plus futiles, dégénèrent parfois en véritables batailles et exaspèrent les gouvernants européens. Aussi un arrêt du conseil supérieur de Madras, en date du 15 juillet 1768, voulut établir l’égalité absolue des deux mains.
  2. V. Schlagintweit Indien, I, p. 168.
  3. Jacquemont, Voy. dans l’Inde, I, 152 al. Cf. Thévenot, Voy. aux Indes, p. 188 ; éd. 1684.
  4. Aitareya brâhmana, VII, 19 : « Therefore the brahmans only are eaters of tbe sacrificial food » (tr. Haug).
  5. V. la biographie de Râm Mohan Rai (telle est l’orthographe exacte du nom) chez Schlagintweit, Indien, l, p, 176 sq. Né à Radhnagar, non loin de Calcutta, en 1774, il mourut 4 Bristol, le 27 sept 1833.