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rien à la philosophie traditionnelle. Souvent ils se moquent d’elle et parfois ils vont jusqu’à prohiber le terme de „philosophie“ pour qualifier leur propres travaux (comme nous l’avons déjà remarqué), le remplaçant par des expressions sans couleur et peu esthétiques telles que „science unitaire“. Cette attitude me paraît reposer sur un profond malentendu. Il est exact, que l’espèce d’empirisme que nous professons est en général acceptée et promue par des esprits tout à fait familiarisés avec les sciences exactes et leur nouvelle méthode. Mais cela tient à des raisons purement psychologiques et ne nous autorise pas à effacer la différence qui existe entre notre façon de poser les questions et de les résoudre et celles d’un physicien, d’un biologiste ou d’un sociologue, de façon à désigner tout effort théorique du nom commun de „science“ en vue d’éviter le mot de „philosophie“. Il est juste aussi que l’empirisme de notre époque doit ses inspirations décisives à des savants appartenant aux sciences exactes, aux Poincaré, Mach, Russell, mais je n’en conclus pas que notre travail doit seulement s’appeler „science exacte“ et non pas „philosophie“ : j’en conclus que ces savants méritent d’être appelés philosophes.

On rend le mieux compte du développement de l’esprit humain et de l’usage du langage depuis vingt-cinq siècles lorsqu’on formule de la façon suivante la distinction entre la philosophie et la recherche scientifique : le philosophe cherche à éclairer le sens de nos énoncés, le savant cherche à décider de leur vérité. Ce sont deux attitudes tout à fait différentes dans la façon de poser les questions. Dans le processus effectif de la connaissance, ces deux attitudes sont naturellement liées et dépendantes, car on ne peut décider de la vérité d’une affirmation sans connaître quelque chose de son sens, et la détermination de son sens présuppose toujours la saisie de certaines vérités. Malgré cette imbrication psychologique des deux vérités il faut, dès le principe, les séparer avec rigueur, car elles correspondent à deux types d’esprit différents (qui peuvent du reste se trouver réunis dans une seule personne), celui du philosophe et celui du chercheur scientifique. On peut également formuler la différence entre l’explication du sens (philosophie) et la recherche de la vérité (science) en disant : celle-ci s’efforce de donner aux questions des réponses exactes et celle-là s’efforce de les poser exactement.

Parvenus à ce point de vue nous reconnaissons soudain le vrai père de notre philosophie, ce n’est ni un savant ni un logicien, ni Comte, ni Frege, ni Poincaré, ni Russell, qui sont tous les anneaux tardifs d’une longue chaîne :