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Selon notre point de vue, toute connaissance est basée sur l’expérience, mais cela ne signifie plus aucune restriction de la connaissance. Dans les anciennes conceptions, l’impossibilité de la métaphysique était due à quelque regrettable imperfection ou incapacité de l’esprit humain ; dans la nôtre, l’impossibilité est d’ordre logique, elle est due à quelque non-sens intrinsèque dans les phrases qui étaient censées exprimer les « problèmes métaphysiques ». Regretter l’impossibilité de la métaphysique devient impossible ; ce serait la même chose que de regretter l’impossibilité d’un carré rond.

Toutes les vraies questions (c’est-à-dire les combinaisons de mots auxquelles nous pouvons éventuellement donner la signification d’une question) peuvent en principe recevoir une réponse (« Il n’y a pas d’énigme de l’univers », comme l’a dit Ludwig Wittgenstein), et elles ne peuvent recevoir de réponse que par l’expérience, par les méthodes de la science. Un lourd fardeau est enlevé à la philosophie, qui ne peut plus se disputer avec la science. Sa fonction est analytique et critique, elle nous aide à nous débarrasser des simples disputes verbales, et c’est avec un soulagement indicible que nous voyons les grands « problèmes » s’évanouir sans laisser de place vide.

La plus grande différence entre l’ancien empirisme et notre nouvelle philosophie de l’expérience réside, je pense, dans sa méthode. Le premier partait d’une analyse des facultés humaines (telles que la pensée, la perception, etc.) ; le second part de quelque chose de beaucoup plus fondamental, à savoir : l’analyse de « l’expression » en général. Toutes les propositions, toutes les langues, tous les systèmes de symboles, ainsi que toutes les philosophies, veulent exprimer quelque chose. Elles ne peuvent le faire que s’il y a là quelque chose qui peut être exprimé : c’est le matériau de toute connaissance, et dire qu’il doit être donné par l’expérience n’est qu’une autre façon de dire que quelque chose doit être là avant que nous puissions en avoir connaissance et à son sujet.

La position de cette philosophie est inattaquable, car elle repose sur la reconnaissance des faits les plus durs et sur l’étude de la logique la plus stricte. Sur ces bases, notre philosophie de l’expérience se tient très solidement comme sur un rocher ferme au milieu d’une mer déchaînée d’opinions philosophiques diverses. Elle n’est ni sceptique ni dogmatique, elle ne peut s’immiscer ni dans la science ni dans les valeurs humaines ; son seul objet est la compréhension. C’est seulement ainsi qu’elle peut atteindre cette attitude sereine qui appartient à toute philosophie authentique : l’attitude de la Sagesse.