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C’est également au dix-neuvième siècle que le véritable antagonisme a commencé, avec le développement d’un certain sentiment d’hostilité de la part du philosophe envers le scientifique et du scientifique envers le philosophe. Ce sentiment est né lorsque la philosophie a prétendu posséder une méthode plus noble et meilleure que la méthode scientifique d’observation et d’expérimentation pour découvrir la vérité. En Allemagne, au début du dix-neuvième siècle, Schelling, Fichte et Hegel pensaient qu’il existait une sorte de voie royale menant à la vérité, réservée au philosophe, alors que le scientifique suivait la voie de la méthode expérimentale vulgaire et très fastidieuse, qui exigeait une technique purement mécanique. Ils pensaient pouvoir atteindre la même vérité que celle que le scientifique essayait de trouver, mais en la découvrant d’une manière beaucoup plus facile, en empruntant un raccourci réservé aux esprits les plus élevés, au seul génie philosophique. Mais je n’en parlerai pas, car cela peut être considéré, je pense, comme dépassé.

Il y a cependant une autre conception qui a essayé de distinguer entre la science et la philosophie en disant que la philosophie s’occupait des vérités les plus générales que l’on pouvait connaître sur le monde et que la science s’occupait des vérités plus particulières. C’est cette dernière conception de la nature de la philosophie que je dois discuter brièvement ce soir, car elle nous aidera à comprendre ce qui va suivre.

Cette opinion selon laquelle la philosophie est la science qui traite des vérités les plus générales qui n’appartiennent pas au domaine d’une science particulière est le point de vue le plus courant que l’on trouve dans presque tous les manuels ; il a été adopté par la majorité des auteurs philosophiques de notre époque. On estime généralement que de même que, par exemple, la chimie s’intéresse aux propositions vraies sur les différents composés chimiques et la physique à la vérité sur le comportement physique, de même la philosophie traite des questions les plus générales concernant la nature de la matière. De la même manière, comme l’histoire étudie les diverses chaînes d’événements uniques qui déterminent le destin de l’espèce humaine, la philosophie (en tant que « philosophie de l’histoire ») est censée découvrir les principes généraux qui régissent tous ces événements.

De cette façon, la philosophie, conçue comme la science qui traite des vérités les plus générales, est censée nous donner ce que l’on pourrait appeler une image universelle du monde, une vision générale du monde dans laquelle toutes les différentes vérités des