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Il n’en reste pas moins surprenant que le théologien se permette d’escamoter ainsi un tel problème, point crucial de la religion qu’il prétend définir.

La théologie tient grand compte à cet égard de la différence entre saint Jean et saint Paul en leur temps, Luther et Calvin à leur époque, les partisans des uns et des autres au cours des siècles, les premiers insistant davantage sur l’amour et la miséricorde de Dieu, les seconds, dans un esprit plus juridique, sur les exigences de la justice divine. Schleiermacher, réformé d’origine, mais rapproché de l’évangélisme, sur ce point entre autres, par sa formation piétiste et surtout par sa tendance naturelle à la conciliation, est nettement du côté des premiers.

Pourtant, dans sa définition générale de l’intuition chrétienne (page 291), l’auteur avait joint la notion du rachat ou salut (Erlösung) à celle de la médiation (Vermittelung). Ici où, parlant du Christ, cette notion serait essentielle, il la laisse tomber. En 1806, il la mentionnera simplement, dans une adjonction à la page 304, où il ajoute à l’œuvre de médiation celles de « salut et propitiation que le Médiateur a vraiment fondées ». La note no 16 de 1821 est à peine plus explicite.

Mais restons-en au texte de 1799, et remarquons encore que, si l’auteur minimise ainsi l’idée de la Rédemption, il fait de même à l’égard du mal. Non, qu’il en pallie l’existence et en méconnaisse la persistance. S’inspirant sans doute d’une parole de saint Paul (Ire aux Corinthiens XV, 28), dont il force un peu le sens en la résumant ainsi : « Il viendra un temps où il ne sera plus question d’aucun médiateur, le Père étant tout en tout », il exprime la crainte que ce temps ne soit situé hors du temps, le christianisme ayant sans doute raison quand il fait de la corruption du monde fini la moitié de son intuition de l’Infini (page 308).

Lessing s’était associé aux espérances de ce messianisme sans Messie. Le romantisme de Schleiermacher est à ce égard plus sage que le rationalisme de l’auteur de l’Éducation du genre humain, et plus près de Kant et de son mal radical que de Rousseau et de sa bonté naturelle. Mais les termes dans lesquels il parle du mal restent singulièrement généraux et abstraits. Celui qui revient le plus souvent, c’est le mot corruption, Verderben, dont nous avons vu