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manifestation, pages 86-87. Nous verrons les sentiments qu’il paraît naturel au théologien qu’inspire ce Divin. Il admet que la religion consiste à l’aimer et à contempler joyeusement son activité, page 80. Si panthéiste qu’elle soit, l’idée qu’il se fait de son « Univers » a donc bien de la parenté avec celle que le chrétien se fait de son Dieu.

Mais il ne veut pas admettre que la religion dépende de l’idée qu’on se fait de Dieu. Car l’idée qu’on se fait de Dieu est l’œuvre, soit de la spéculation, soit de l’imagination créatrice. Or, la spéculation est à ses yeux, nous le savons, du ressort non de la religion, mais de la métaphysique, et ces constructions de la raison, ces superstructures de la foi, n’ont de solidité que celle de l’assise que leur fournissent les données de l’intuition. L’imagination créatrice, la Phantasie, est, il est vrai, aux yeux du romantique, une faculté éminente de l’esprit ; il en magnifie le rôle ainsi que font ses amis ; il déclare, page 129, qu’elle est ce qu’il y a de plus spontanément jaillissant dans l’homme, et qu’en dehors d’elle, tout n’est que réflexion sur elle. Il serait intéressant de comparer ce rôle à celui que Bergson attribuera à ce qu’il appelle la « fonction fabulatrice ». Chez Schleiermacher, c’est sans doute la Phantasie qui se représente l’ineffable, l’indéfinissable « Divin », comme le Créateur du ciel et de la terre, comme le Père et le Juge ; c’est elle qui l’anthropomorphise dans toute la mesure où elle le personnifie. Or, le théologien, tout en reconnaissant, dans ses Discours déjà, au Divin un plan, un dessein qui implique une certaine personnalité, se montrera toujours réfractaire en principe à toute personnification du Divin. Celui-ci est conçu par lui dans l’esprit du spiritualisme le plus ascétique. La Phantasie, de même que la raison, opère sur les données de l’intuition du Divin, et celles-ci ont seules la valeur d’une réalité certaine. C’est donc bien, comme il l’a dit, cette intuition qui est à ses yeux le principe même de la religion.

Voyons à présent comment il la conçoit.

Ce que, en 1799, il appelle presque toujours Anschauung, intuition, il le désignera plus souvent dans les éditions ultérieures par d’autres termes : Wahrnehmung, perception, Bewusstwerden, Innewerden, prise de conscience. Toutes ces expressions correspondent à une vue immédiate, directe, dans laquelle n’intervient aucune réflexion, aucun raison-