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combats difficiles contre des tentations, des passions, des aspirations que sa conscience condamnait.

Il semble en effet certain que l’orgueil et la concupiscence n’ont pas joué dans son existence le rôle que la crainte de ces vices capitaux joue dans la vie de Luther et dans la pensée de Calvin. Il n’a pas ressenti ni connu autant qu’eux la force du mal, il n’a pas souffert comme eux de l’obstacle qu’elle met au salut, il ne l’a pas prise au tragique comme eux. Il paraît beaucoup plus proche de Mélanchthon, ou même d’Érasme, que de Luther. Il n’y a guère chez lui plus d’attrition que de contrition. Sans trop donner dans l’optimisme naturiste de Rousseau, sans aller aussi loin que Leibniz dans l’optimisme métaphysique du « meilleur des mondes possibles », il semble bien qu’on doive constater chez lui la disposition à un certain quiétisme mesuré. Il faut ajouter qu’une sorte de bienveillance naturelle peut l’engager à estimer que la justice de Dieu elle-même doit juger avec quelque indulgence, et ne pas considérer comme criminelles, bien des faiblesses inhérentes à l’humaine nature, telle qu’elle résulte d’une chute que ne pouvait pas ne pas prévoir l’omniscience divine. De plus, une doctrine centrale de son romantisme devait le porter à penser que l’infinie multiplicité des caractères humains, postulée par la nécessité métaphysique de la multiplication en aussi grand nombre que possible de ces manifestations finies de l’Infini, entraîne et comporte une diversité illimitée de couleurs et de nuances, parmi lesquelles il est normal qu’il y en ait de troubles et troublantes.

Ainsi son tempérament, son caractère et ses idées se sont accordés pour lui inspirer, dans sa morale comme dans sa religion, dans sa religion comme dans sa morale, une certaine modération, qui le dispose à la conciliation, en particulier, comme chez Érasme, de l’humanisme avec le christianisme. De là vient sans doute en partie l’attraction que sa pensée exerce sur les esprits disposés eux-mêmes à la conciliation, pour qui elle facilite l’accord d’un libre spiritualisme avec une religion véritable. De là aussi l’insuffisance de son christianisme, même devenu plus consistant et plus ferme, pour ceux qui sentent le besoin d’une morale plus exigeante, plus rigoureuse, appelant l’assistance de forces surnaturelles, et qui ne trouvent pas en lui ce que donne soit un luthéranisme,