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la nécessité, elle n’en fait pas sentir l’existence) ; « la réalité du monde et ses lois, elle les tire d’elle-même comme l’araignée le fil de sa toile » (p. 42). Et il fait voir la nécessité de la religion pour contrebalancer, par son intuition, par son sens du réel, l’action d’une philosophie destructrice de la réalité. Il demande en effet : « Qu’adviendra-t-il du triomphe de la spéculation, qu’adviendra-t-il de l’idéalisme ? » Ici, il a certainement en vue l’idéalisme transcendantal, subjectif, à la Fichte. Et sa réponse est que le triomphe de l’idéalisme transcendantal serait « l’anéantissement de l’Univers » (ici à la fois le monde créé et son principe créateur), réduit au rôle de « simple allégorie, reflet sans existence réelle de notre propre esprit si limité » (p. 54). Contre cet idéalisme, qui tend à faire du monde et de Dieu un simple reflet de l’esprit humain, il invoque un réalisme supérieur comme celui du grand Spinoza, pour lequel nous connaissons l’origine et la nature de son culte (p. 55). Il l’appelle ici « le saint réprouvé, que pénétrait tout entier le haut Esprit du monde, dont l’Infini était l’alpha et l’oméga, et l’Univers l’objet de son unique et éternel amour ».

On ne saurait ne pas voir là chez Schleiermacher une preuve, comme il s’en trouve chez Fr. Schlegel au sein même de son ironie, chez Novalis au sein de sa magie, chez Tieck au sein de sa fantaisie, du besoin que ces romantiques ont éprouvé, au moment même de leur subjectivité la plus extrême, de retrouver l’objet extérieur, la réalité objective, qu’à certains instants la critique de Kant et surtout l’idéalisme de Fichte semblent avoir dissoute dans leur esprit. Ils éprouvent de bonne heure le besoin de posséder hors d’eux, sur le plan matériel et sur le spirituel, un objet indépendant de leur subjectivité, ayant son existence autonome en dehors de leur esprit, qui soit pour eux l’objet d’une perception directe, et par suite d’une certitude immédiate, au lieu de n’être qu’une conception mentale, la conséquence d’un raisonnement. De là viendra, sur le plan religieux, à plusieurs d’entre eux — vient alors déjà à Novalis — le besoin d’un Dieu plus réel, plus concret, plus objectif, lui aussi, que celui de l’idéalisme métaphysique ou du protestantisme rationaliste. Ce besoin contribuera à pousser certains d’entre eux vers le catholicisme, incarnation plus plastiquement consistante du christianisme. Schleiermacher