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tout converge pour assurer à l’une d’entre elles une vie largement étendue et durable, où une même façon de voir se développe à la fois et irrésistiblement chez beaucoup d’humains, et les pénètre de la même impression du divin. Mais que ne peut-on attendre d’une époque qui est si manifestement la frontière entre deux ordres de choses différents ! Que seulement la violente crise soit franchie : elle peut aussi amener un tel moment, et une âme douée de pressentiments, orientée vers le génie créateur, pourrait[1] à présent déjà indiquer le point qui doit devenir pour des générations futures, le centre de l’intuition de l’Univers[2].

Mais quoi qu’il en soit, et si longtemps que se fasse encore attendre un tel instant, de nouvelles formes de religion doivent se produire, et cela bientôt, alors même que pendant longtemps elles ne seraient perceptibles que dans des manifestations isolées et fugitives. Du néant surgit toujours une nouvelle création, et la religion est néant chez presque tous les êtres du temps présent, alors que leur vie spirituelle s’épanouit en force et en plénitude. Chez beaucoup elle [312] se développera sous la poussée d’une quelconque des innombrables causes occasionnelles, et, sur un sol nouveau, revêtira une forme nouvelle. Seulement, que soit révolu le temps de la retenue et de la timidité craintive. La religion déteste la solitude, et dans sa jeunesse surtout qui, pour tout, est l’heure de l’amour, elle se consume en dévorante nostalgie.

Si elle se développe en vous, si vous ressentez les premiers indices de sa vie, entrez tout de suite dans la communion une et indivisible des saints, qui admet toutes les religions, et qui est la seule dans laquelle chacune de celles-ci peut prendre son développement. Vous pensez, parce que cette communauté est éparse et lointaine, que vous devriez par conséquent alors parler à des oreilles profanes aussi ? Vous demandez, quel langage est assez secret, le discours, l’écriture, l’action, la mimique silencieuse de l’esprit ? Je réponds : n’importe lequel, et comme vous voyez, je n’ai pas craint le plus sonore. Quel que soit le langage, le sacré y reste secret et caché aux yeux des

  1. C ajoute prudemment : peut-être.
  2. B : le centre de leur communion avec la Divinité.