Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/288

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous avons considéré [252] comme de l’essence de la religion qu’il n’y a pas, entre les diverses intuitions et les divers sentiments à l’égard de l’Univers, de corrélation interne déterminée ; que chaque élément particulier a son existence en soi et pour soi, et peut conduire à tout autre élément par mille combinaisons qui dépendent de circonstances accidentelles. C’est pourquoi, déjà dans la religion de chaque individu telle qu’elle se développe au cours de sa vie, rien n’est plus aléatoire que la somme de sa matière religieuse dont il prend distinctement conscience[1]. Certaines vues peuvent s’obscurcir à ses yeux, d’autres peuvent se présenter à lui et se clarifier, et à cet égard sa religion est toujours mouvante et fluente. Ce qui est ainsi fluent ne peut absolument pas être l’élément fixe et essentiel dans une religion commune à plusieurs adeptes, car combien suprêmement aléatoire et rare doit être le fait que plusieurs êtres humains restent fixés, ne fût-ce qu’un temps, dans le même cercle de perceptions intuitives, et se meuvent sur la même voie dans l’ordre des sentiments[2] ! C’est pourquoi aussi parmi ceux qui déterminent leur religion de cette manière, la discussion est constante au sujet de ce qui est essentiel à celle-ci ou ne l’est pas ; ils ne savent pas ce qu’ils doivent poser comme caractéristique et nécessaire, ce qu’ils doivent disjoindre comme libre et contingent ; ils ne trouvent pas le point de vue d’où ils pourraient dominer [253] l’ensemble, et ne comprennent pas la manifestation de la religion au sein de laquelle ils croient vivre eux-mêmes, en faveur de laquelle ils s’imaginent lutter et à la dégénérescence de laquelle ils contribuent, parce qu’ils ne savent pas où ils sont ni ce qu’ils font.

Mais l’instinct, qu’ils ne comprennent pas, les conduit mieux que leur entendement, et la nature maintient uni ce que détruiraient leurs réflexions erronées et leurs façons d’agir fondées sur cette base. Celui qui fait résider le caractère d’une religion particulière dans une quantité

  1. Version de B. A disait plus vaguement : « que la somme déterminée de sa substance religieuse ».
  2. Dans sa note 2 de 1821, Schleiermacher observe que, depuis le moment où il s’exprimait ainsi, les épreuves, puis les gloires de la patrie ont suscité chez les Allemands une plus large et plus durable communauté de sentiments.