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pas tout aussi anxieusement de ce qu’ils ont été que de ce qu’ils seront, et que leur sert le « en avant » si le « en arrière » ne leur est tout de même pas possible ? La recherche monomane d’une immortalité qui n’en est pas une, et dont ils ne sont pas les maîtres, leur fait perdre celle qu’ils pourraient avoir ; elle leur fait perdre de plus la vie terrestre, consumée en pensées qui les angoissent et les tourmentent vainement. Essayez donc de renoncer à votre vie par amour pour l’Univers. Efforcez-vous d’anéantir ici déjà votre individualité[1] pour vivre dans l’Un et Tout ; efforcez-vous d’être plus que vous-mêmes, afin que vous perdiez peu quand vous vous perdrez ; et quand vous serez ainsi confondus avec l’Univers, pour autant que vous trouvez de celui-ci ici-bas, quand une plus grande et plus sainte aspiration sera née en vous, alors nous reprendrons et pousserons plus loin l’entretien sur les espérances que nous donne la mort, et sur l’Infini vers lequel infailliblement par elle nous prenons notre essor[2].

Telle est ma façon de penser sur ces sujets. Dieu n’est pas tout dans la religion ; [133] il y est un des éléments[3], et l’Univers est davantage ; de plus, vous ne pouvez pas croire en lui arbitrairement, ou parce que vous voulez l’utiliser comme moyen de consolation et de secours, mais parce que vous y êtes contraints. Il n’est pas permis à l’immortalité d’être un désir si elle n’a d’abord été un problème imposé, que vous avez résolu. Au sein même du fini devenir un avec l’Infini, être éternel dans un instant[4], voilà l’immortalité de la religion.


  1. B : personnalité.
  2. La note 21 de 1821 commente longuement ces deux pages de 1799 sur l’immortalité. Elle vise à établir qu’il y a lieu de distinguer entre les formes si diverses de la croyance à l’immortalité qui se rencontrent dans l’ensemble des religions, et de ne reconnaître de valeur morale et vraiment religieuse qu’à celles pratiquées avec une piété qui ne réclame l’éternité que pour la vie vraiment supérieure, sans aucune arrière-pensée de récompense promise à la vertu.
  3. Nicht Alles… sondern Eins.
  4. B : à chaque instant ; cf. Monologues, p. 26 ; cf. Goethe : Der Augenblick ist Ewigkeit.