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rents ? Que serait-ce en regard de cette infinie variété de figures humaines[1] ?

Prenez n’importe lequel vous voudrez des éléments de l’humanité : vous trouverez chacun d’eux représenté en elle dans tous les états possibles, depuis celui de sa pureté absolue [93] presque — presque, car celle-ci ne doit se trouver nulle part absolue — à travers ceux de tous les mélanges possibles avec chacun des autres, jusqu’à celui de la saturation de tous les autres presque complète — presque, car cela aussi est un extrême qui ne saurait être atteint — et ces mélanges se présentent effectués de toutes les manières, réalisant toutes les variétés et n’omettant aucune combinaison rare. Et si vous pouvez vous imaginer encore des alliages que vous ne voyez pas réalisés, cette lacune aussi est une révélation, une révélation négative de l’Univers, une indication que, à la température actuelle du monde, cette combinaison n’est pas possible au degré requis, et ce qu’imagine à ce sujet votre fantaisie est une vision, projetée dans l’au-delà des limites actuelles du monde, une véritable inspiration divine, une prédiction prophétique, involontaire et inconsciente, de ce qui sera, un jour, dans l’avenir. Mais, de même que ce qui semble faire défaut à la diversité infinie requise n’est pas en réalité un pas assez, de même aussi ce qui, de votre point de vue, vous paraît un trop, n’en est pas un. Cette surabondance, si souvent jugée regrettable, des formes les plus communes de l’humanité, qui reviennent, toujours identiques, en mille exemplaires, la religion les déclare apparence vide. La raison[2] éternelle ordonne, et la raison finie aussi peut reconnaître que les figures [94] dans lesquelles il est le plus difficile de distinguer ce qu’elles ont de particulier sont celles dont la masse doit être la plus compacte ; chacune a pourtant quelque chose qui lui est propre ; aucun être humain n’est identiquement semblable à l’autre, et dans la vie de chacun il y a un moment quelconque, comme la fulguration de métaux

  1. Ce dédain pour une uniformité qui pourrait être l’état de sainteté, cette préférence décidée pour une diversité qui comporte nécessairement des degrés très divers de bien et de mal, sont caractéristiques du romantisme de Schleiermacher. Il a déjà exprimé plus haut sa répulsion à l’égard de l’uniformité, p. 64 ; et il l’exprimera plusieurs fois encore.
  2. Der Verstand.