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l’intérieur de son âme ; cependant la nostalgie d’un monde émouvait son esprit, et il assembla devant lui la création animale, cherchant si peut-être un monde s’en formerait. Alors la Divinité reconnut que son monde n’était rien tant que l’homme serait seul ; elle lui créa sa compagne, et à partir de là seulement des accents vivants et pleins d’âme retentirent en lui, alors seulement le monde prit à ses yeux forme et sens. Dans cette chair de sa chair, dans cet os de ses os, il découvrit l’humanité, et dans l’humanité le monde ; dès cet instant il fut capable d’entendre [89] la voix divine et de lui répondre, et la plus criminelle transgression des lois de cette Divinité ne l’exclut dès lors plus du commerce avec l’Être éternel[1]. Notre histoire à tous est racontée dans cette sainte légende. Pour celui qui se pose lui-même en solitaire, c’est en vain que tout est là, présent à ses yeux, car pour avoir une vue intuitive du monde et pour avoir de la religion, il faut que l’homme ait d’abord trouvé l’humanité, et il ne la trouve que dans l’amour et par l’amour. Voilà pourquoi ces deux états sont si étroitement et indissolublement unis. C’est l’aspiration à la religion[2] qui aide l’homme à parvenir à l’heureuse possession de la religion. Celui que chacun embrasse avec le plus d’ardeur, c’est celui en qui le monde se reflète le plus clairement et le plus purement ; celui que chacun aime avec le plus de tendresse, c’est celui en qui il croit trouver ramassé tout ce qui lui manque à lui-même pour réaliser en lui l’humanité. Donc, allons à l’humanité, c’est là que nous trouverons de la substance pour la religion.

Et là vous vous trouvez aussi au sein de ce qui est le plus réellement votre patrie la plus chère ; là, votre vie la plus intime s’ouvre à vous, vous voyez devant vous le but de tous vos efforts et de toute votre activité, vous sentez en même temps la poussée intérieure de vos forces, qui vous

  1. La note 14 de 1821 ne dit pas davantage où l’auteur a pris ce qu’il appelle là « ce récit » ; il insinue que l’application qu’il en a faite n’est pas de lui.
  2. G. Brandès dira : la religion romantique, c’est l’aspiration à la religion. Mais ici, B substitue à l’aspiration à la religion celle à l’amour.

    À partir d’ici et jusqu’à la page 104 l’auteur parlera de l’humanité, grande manifestation consciente de l’Univers.