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extérieur, ce n’en sont pas les proportions de grandeur, mais les lois.

Élevez-vous, élevez vos regards jusqu’au point d’où vous pouvez saisir comment ces lois embrassent tout, de la plus grande chose à la plus petite, [83] les systèmes mondiaux stellaires et le grain de poussière qui flotte vagabond de-ci de-là dans l’air, et dites alors si vous ne voyez pas intuitivement l’unité divine et l’éternelle immuabilité du monde ?

Cependant, ce que l’œil ordinaire saisit d’abord de ces lois, l’ordre dans lequel tous les mouvements se répètent au ciel et sur la terre, la révolution déterminée des astres et le circuit régulier de toutes les forces organiques, la constante infaillibilité dans la règle du mécanisme et l’éternelle uniformité dans l’élan créateur de la nature plastique : ce n’est là que le moins important dans cette vision intuitive de l’Univers. Cette affirmation ne doit pas vous étonner[1]. En effet, si vous ne considérez d’une grande œuvre d’art qu’un fragment particulier, et si dans les parties de ce fragment à leur tour vous percevez des beautés de contours et de proportions qui paraissent être là pour elles-mêmes, contenues tout entières dans ce fragment, de telle sorte qu’on trouve entièrement en lui, sans avoir à chercher au dehors, le principe de la loi qui les règle, ce fragment ne vous semblera-t-il pas alors être une œuvre en soi et pour soi plutôt qu’une partie d’une œuvre ? Ne jugerez-vous pas que le tout, s’il était rigoureusement traité dans le même style, manquerait sans doute d’élan, de hardiesse et de tout ce qui fait pressentir un grand esprit ? Pour que vous ayez le sentiment d’une haute unité, d’un enchaînement [84] correspondant à une grande pensée, il faut nécessairement qu’à la tendance générale à l’ordre et à l’harmonie s’ajoutent, dans les parties, des rapports dont l’explication ne se trouve pas complètement en elles.

Le monde est lui aussi une œuvre dont vous ne dominez du regard qu’une partie, et si celle-ci était en elle-même complètement ordonnée et parfaite, vous n’auriez pas de l’ensemble une idée haute[2].

  1. Phrase et terme de liaison explicative introduits dans C.
  2. B dit plus justement : vous n’auriez qu’une idée limitée de la grandeur de l’ensemble.