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et si vous n’avez pas conscience maintenant d’avoir eu quelque chose qu’elle pouvait décomposer, d’où tenez-vous donc ces éléments ? Vous avez de la mémoire et une faculté d’imitation ; vous n’avez point de religion. Elles ne sont pas de vous, les intuitions dont vous savez les formules qui y correspondent ; ces formules sont apprises par cœur et conservées, et vos sentiments sont imitation mimique, autant dire, physionomies étrangères, et pour cette raison, caricatures.

Et c’est de ces parcelles mortes, en voie de corruption, que vous voulez composer une religion ? On peut bien décomposer les sucs d’un corps organique en ses [77] éléments les plus riches ; mais prenez à présent ces éléments disjoints, mélangez-les dans toutes les proportions, traitez-les par tous les procédés, pourrez-vous en refaire le sang qu’élabore le cœur ? Ce qui est mort pourra-t-il circuler de nouveau dans un corps vivant et s’unir à lui ? Reconstituer les produits de la nature vivante par la combinaison de leurs éléments dissociés, aucun art humain n’y peut parvenir, et vous n’y réussirez pas avec la religion, si parfaitement que vous vous en soyez incorporé et assimilé les éléments distincts pris du dehors ; c’est du dedans qu’elle doit naître et se développer.

La vie divine est comme une plante délicate, dont les fleurs se fécondent à l’intérieur du bouton déjà, et les saintes intuitions, les sentiments saints, que vous pouvez faire sécher et conserver, sont les beaux calices et les belles corolles qui s’ouvrent tout de suite après cette opération secrète, mais pour retomber aussi tout de suite après. Cependant, il en surgit toujours aussi de nouvelles, nées de l’abondante plénitude de la vie intérieure, car la plante divine crée autour d’elle un climat paradisiaque, qu’aucune saison n’altère, et les fleurs anciennes jonchent et parent, reconnaissantes, le sol qui recouvre les racines dont elles ont été nourries, et exhalent comme un souvenir aimable leur arôme [78] vers le tronc qui les a portées. De ces boutons et de ces corolles et calices je vais à présent tresser pour vous une sainte couronne.

La nature extérieure, tenue par un si grand nombre pour le premier et plus noble temple de la divinité, pour