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la morale, ou de la vie, ou des relations terrestres ; mais si l’on entend que ces actes ressortissent à la religion et soient issus d’elle, tous sont égaux entre eux, les uns comme les autres ne sont que superstition servile.

Vous blâmez celui qui laisse déterminer son attitude à l’égard d’un homme par l’impression que celui-ci fait sur lui, vous ne voulez pas que le sentiment, même le plus juste, sur la réaction d’un être humain, nous induise à des actes pour lesquels nous n’avons pas de meilleure raison ; non moins blâmable est par conséquent celui dont les actes, qui devraient toujours être orientés en vue de l’ensemble, sont déterminés simplement par les sentiments que cet ensemble éveille en lui ; on note en lui un être qui renonce à sa dignité, non seulement du point de vue de la morale, parce qu’il laisse intervenir des motifs étrangers, [71] mais aussi du point de vue de la religion elle-même, parce qu’il cesse d’être ce que seul lui donne aux yeux de celle-ci une valeur particulière : une libre partie du tout, agissant par sa propre force. Ce total malentendu, d’après lequel la religion doit agir, ne peut pas ne pas être en même temps une terrible profanation, et ne pas finir, quelque direction que prenne l’activité, dans le malheur et le désarroi.

Mais au cours d’une activité tranquille, qui doit avoir sa source en elle-même, avoir l’âme pleine de religion : c’est là le but de l’homme pieux. Ce ne sont que des mauvais esprits et non des bons qui possèdent l’homme et le poussent à agir ; la légion d’anges que le Père céleste avait envoyés à son fils n’étaient pas en lui mais autour de lui ; ils ne l’aidaient pas non plus dans toute sa manière d’agir et d’être, et n’avaient pas à le faire, mais ils versaient une douce sérénité et le calme dans son âme épuisée à force d’agir et de penser ; il lui arrivait sans doute parfois de les perdre de vue, dans les instants où toute sa force était tendue vers l’action ; mais ils revenaient alors planer autour de lui en joyeuse cohorte et le servaient[1].

Avant de vous faire pénétrer dans le détail de ces

  1. Libre interprétation, semble-t-il, de Matthieu IV, 11, Luc IV, 10-11 et XXII, 43.