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fondément dans la nature et la substance du tout, cela n’est plus de la religion, et, bien que cela veuille être considéré comme tel, cela retombera inévitablement dans la sphère d’une vaine mythologie[1]. Ainsi, c’était de la religion quand les Anciens, abolissant les limites du temps et de l’espace, considéraient chaque manifestation particulière de la vie, telle qu’elle se produit à travers le monde entier, comme l’œuvre et le domaine d’un être omniprésent : ils avaient eu l’intuition d’une façon particulière [57] d’agir de l’Univers, dans l’unité qui la distingue, et désignaient ainsi cette intuition. C’était de la religion quand, en toute circonstance secourable, où les lois éternelles du monde se manifestaient dans le fortuit d’une façon évidente, ils ajoutaient au dieu auquel elle se rapportait un autre nom particulier, et lui bâtissaient un temple à lui en propre consacré : ils avaient saisi un acte de l’Univers, et en désignaient ainsi l’individualité et le caractère. C’était de la religion quand ils s’élevaient au-dessus de l’âge du monde rêche, du siècle de fer, crevassé et rugueux, et cherchaient à retrouver l’âge d’or, dans l’Olympe, dans la vie joyeuse des dieux : ainsi ils contemplaient intuitivement l’activité toujours alerte, toujours vivante et heureuse du monde et de son esprit, par delà toutes les variations et tout le mal apparent, qui ne sont que le résultat du conflit de formes finies. Mais quand ils faisaient la chronique miraculeuse de la généalogie de ces dieux, ou quand une croyance ultérieure fait défiler devant nous une longue série d’émanations et de créations[2], cela est vaine mythologie. Représenter tous les faits qui se produisent dans le monde comme actions d’un dieu, cela est de la religion, cela exprime le rapport entre ces faits et un Tout infini ; mais se creuser l’esprit au sujet de l’existence de ce dieu avant le monde [58] ou en dehors du monde, cela peut être bon et nécessaire en métaphysique, dans la religion cela aussi tourne à la vaine mythologie, car cela conduit à une amplification de ce qui

  1. Dans la note 6 de 1821, Schleiermacher explique qu’il appelle mythologique la présentation d’un objet purement idéal sous forme historique et qu’ainsi, par analogie avec le polythéisme, il peut y avoir aussi une mythologie monothéiste et chrétienne.
  2. Vise sans doute les mystiques du néoplatonisme et du gnosticisme et leurs éons.