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mais, en lui faisant une guerre loyale, qui ne laisse tout de même pas d’exiger quelque effort, vous ne voulez cependant pas vous être battus contre une ombre comme celle avec laquelle nous avons bataillé jusqu’ici. La religion doit pourtant être quelque chose qui a sa réalité propre, qui a pu pénétrer dans le cœur des hommes, quelque chose de pensable, qui peut faire l’objet d’un concept, sur lequel on peut disserter et discuter. Je trouve très mal que, même vous, vous cousiez ensemble des éléments si disparates, pour en faire quelque chose qui ne peut pas tenir, que vous appeliez cela religion, et que vous y attachiez alors tant de vaine importance.

Vous nierez que vous ayez usé d’artifices, vous me sommerez de dérouler — puisque j’ai déjà rejeté les systèmes, les commentaires et les apologies —, de dérouler tous les documents primitifs de la religion, depuis les beaux poèmes des Grecs jusqu’aux saintes écritures [48] des chrétiens, et me demanderez si je n’y trouverai pas partout la nature des dieux et leur volonté, et la glorification comme sacré et saint de celui qui reconnaît leur nature et accomplit leur volonté. Mais c’est précisément ce que je vous ai dit : la religion n’apparaît nulle part à l’état pur ; tout ce dont vous parlez là, ce ne sont que des adhérences étrangères, dont notre tâche est précisément de la dégager. N’en est-il pas de même du monde des corps ? Il ne vous livre aucune substance élémentaire à l’état de produit pur de la nature — à moins que, comme cela vous est arrivé ici dans le domaine spirituel, vous ne teniez pour simples des choses non dégrossies ; c’est le but infini de l’art analytique d’arriver à dégager et présenter un tel élément original à l’état pur. Dans le domaine des choses de l’esprit de même, vous ne pouvez créer de l’originel que par une création originelle en vous-mêmes, et cela alors aussi uniquement pour l’instant où vous le créez. Je vous en prie, mettez-vous d’accord avec vous-mêmes à ce sujet, cela vous sera continuellement rappelé.

Quant aux documents originels, aux autographes de la religion, ce mélange de métaphysique et de morale n’y est pas simplement l’effet d’un destin inévitable, mais bien plutôt celui d’une condition essentielle, inséparable de son existence même[1]. Ce qui est donné comme pre-

  1. [Texte de la note page suivante.]