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en s’inspirant de sa nature intime, celui qui lui est présenté, ne se laisse ni séduire par de vieux souvenirs, ni suborner par des pressentiments préconçus. C’est à cette condition seulement que je puis vous la présenter, cette religion que je veux vous faire apparaître[1], avec l’espoir de vous amener, sinon à l’aimer, du moins à tomber d’accord avec moi sur la signification de sa figure, et à y reconnaître un être céleste.

Je voudrais pouvoir vous la présenter sous une forme assez familière pour que vous eussiez le plaisir de retrouver aussitôt dans votre mémoire ses traits, son allure, ses façons d’être, et de vous écrier : « c’est ainsi que je l’ai vue ici ou là dans la vie » ! Mais ce serait vous induire en erreur. Car telle qu’elle apparaît, sans aucun vêtement, [40] à celui qui l’évoque, elle ne se rencontre pas parmi les humains, et ne s’est sans doute pas laissé voir depuis longtemps sous la forme qui lui est propre. Le caractère particulier des divers peuples civilisés, depuis que, par des relations de toute sorte, les rapports entre eux se sont multipliés et ont augmenté la masse de ce qui leur est commun, ne se marque plus aussi nettement et distinctement dans des actions isolées ; l’imagination seule est capable de reconstituer l’idée totale de ces caractères qui, dans les faits particuliers, n’apparaissent qu’épars et mêlés à beaucoup d’éléments étrangers. Il en est de même des choses de l’esprit, et entre autres de la religion. Vous savez comme tout est pénétré aujourd’hui d’une harmonie qui façonne toutes les formes ; elle a créé une sociabilité et une amitié telles au sein de l’Âme humaine qu’aucune des forces de celle-ci, si distincte et séparée des autres que nous nous plaisions à la voir en pensée, n’agit plus en fait isolément ; pour chacune d’elles, dans l’exercice de chacune de ses fonctions, l’amour prévenant et l’aide bienfaisante des autres prend les devants sur elle, et la fait dévier un peu de sa voie, de telle sorte que dans un monde à ce point civilisé, on cherche vainement à découvrir une action qui puisse être l’expression fidèle d’une des facultés [41] de l’esprit, que ce soit la sensibilité ou l’entendement, la moralité ou la religion.

  1. Texte de B ; A disait, très obscurément : meine Erscheinung.