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DEUXIÈME DISCOURS

SUR L’ESSENCE DE LA RELIGION

[38] Vous savez sans doute comment le vieux Simonide rappela au calme, par une hésitation réitérée et prolongée sans fin, celui qui l’avait importuné[1] avec la question : « Que peuvent bien être les dieux ? » Sur La question bien plus vaste : « Qu’est la religion ? » je débuterais volontiers par une semblable hésitation.

Ce ne serait naturellement pas dans le dessein de garder le silence et de vous laisser dans la perplexité comme fit cet ancien, mais pour que, tenus en haleine par votre attente impatiente, vous fixiez un certain temps vos regards sur le point que nous cherchons, en écartant complètement toute autre pensée. La première exigence de ceux qui n’évoquent que des esprits ordinaires n’est-elle pas que le spectateur qui veut voir leur apparition et être initié à leurs secrets s’y prépare par l’abstention des choses terrestres et par un saint recueillement silencieux, puis, sans [39] se laisser distraire par des objets étrangers, concentré son regard et ses sens dans la direction du lieu où l’apparition doit se produire ? Combien plus ai-je le droit de réclamer une semblable disposition à me suivre, moi à qui incombe d’évoquer un esprit rare, qui ne daigne pas apparaître sous n’importe quel masque souvent vu, esprit que vous aurez à observer longtemps, avec une attention très appliquée, pour connaître ce qu’il est, et comprendre la signification profonde de ses traits. Il vous faut considérer les sphères du sacré[2] dans la disposition d’esprit sobre et lucide, exempte de tous préjugés, qui saisit clairement et exactement tous les contours d’un objet et, avide de comprendre du dedans,

  1. Hiéron, roi de Syracuse 478-467.
  2. Die heiligen Kreise. D’ici aux premières lignes de la p. 47 le texte est très modifié dans B.