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celui qui, le premier, a pensé à une divinité unique et universelle — assurément la pensée la plus systématique de tout le domaine de la religion — jusqu’au mystique le plus récent, chez lequel brille peut-être encore un rayon originel de la lumière intérieure (vous ne me blâmerez pas de ne pas mentionner les théologiens attachés à la lettre, qui croient trouver le salut du monde et la lumière de la sagesse dans un nouveau costume de leurs formules ou dans de nouvelles dispositions des figures de leurs démonstrations imagées) : nommez-m’en parmi tous un seul qui ait jugé qu’il valût la peine de s’imposer ce travail de Sisyphe.

Ce ne sont que quelques sublimes pensées isolées qui font tressaillir leur âme embrasée à l’ardeur d’un feu éthéré, et le coup de tonnerre prodigieux d’un discours magique accompagna la haute apparition et annonça aux mortels prosternés dans l’adoration que la divinité avait [30] parlé. Un atome fécondé par une force supraterrestre tomba dans leur âme, rendit semblable à lui-même tout ce qui se trouvait en elle, l’agrandit peu à peu, et elle éclata alors comme sous le coup d’un destin divin, dans un monde dont l’atmosphère lui opposait trop peu de résistance ; et à sa dernière heure elle projeta encore un de ces météores célestes, de ces signes révélateurs de leur époque, dont personne ne méconnaît l’origine, et qui remplissent de respect toutes les créatures terrestres. Il vous faut rechercher ces étincelles célestes qui jaillissent quand une âme sainte ressent l’attouchement de l’Univers. Il vous faut les épier à l’instant incompréhensible où elles se sont formées. Sinon il vous arrive comme à celui qui rapproche trop tard l’élément combustible du feu arraché par la pierre à l’acier : il ne trouve plus qu’une parcelle insignifiante et froide de grossier métal, et ne peut plus rien y enflammer.

Je réclame donc que, détournant votre regard de tout ce que d’autre part on appelle religion, vous le dirigiez uniquement sur ces émotions intimes[1] et ces dispositions d’esprit que vous trouverez, à l’état isolé et épars, dans toutes les manifestations extérieures et dans toutes

  1. Texte de B. A disait : Andeutungen.