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je me proposais en les rédigeant. Cela servira a placer les lecteurs dans le point de vue d’où je peux espérer d’être jugé équitablement.

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J’ai composé en France la Comparaison des deux Phedres ; la première édition, imprimée à Paris en 1807, a été épuisée. C’était une expérience que je m’amusais à faire sur l’opinion littéraire, sachant d’avance qu’un orage épouvantable éclaterait contre moi, ce qui ne tarda pas d’arriver. En France, depuis la révolution, le goût a varié selon les phases de l’ordre ou du désordre social. Cependant la république n’a pas duré assez longtemps pour produire un nouveau genre de tragédies, destinées à inculquer la haine des rois, comme Chénier en avait donné le ton. Mais toutes les pièces de théâtre devaient être purgées des titres malsonnants à des oreilles républicaines. J’ai vu représenter dans le temps un opéra, Raoul sire de Créquy, dont le héros fut transformé en citoyen de Créquy. On n’aurait pas fait comprendre à un parterre patriotique, que Raoul n’était point de ces sires criminels, mais un pauvre sire, châtelain dans un village. Bonaparte, aussitôt après son avènement, ordonna d’admirer derechef le siècle de Louis XIV : et le public, ayant obéi sur des points bien autrement importants, fut obséquieux dans son admiration. Un certain abbé Geoffroi, qui rédigeait alors le feuilleton du théâtre dans le Journal de l’Empire, était un vrai cerbère à la porte du goût classique. En voyant ma brochure, cet abbé s’écria d’un ton goguenard : « Voici un Allemand qui ose blâmer Racine, et qui néanmoins montre assez d’esprit pour qu’il faille engager la discussion avec lui : c’est fort drôle ! » Un autre collaborateur du même journal, Dussault, dit :