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Leur hauteur était telle que l’œil pouvait a peine atteindre la cime qui semblait être couverte d’une forêt sombre et impénétrable.

Dans les premiers temps les meuniers, vivant frugalement avec leurs familles, ne travaillaient pas outre mesure. Lorsque les roues des moulins étaient arrêtées, surtout pendant le silence de la nuit, on entendait du haut des rochers une musique ravissante. Ce serait une faible image de la comparer aux accords d’une harpe éolienne. Elle animait et calmait en même temps ; elle portait dans l’âme des émotions qu’aucune parole ne peut décrire. Les liens de famille en furent resserrés : les jeunes mères pressaient leurs enfants sur leur sein ; l’époux se penchait vers son épouse avec une tendre sollicitude. On voyait des vieillards, plongés dans l’extase, tourner des regards inspirés vers la cime, comme s’ils eussent espéré d’atteindre de l’œil la source de cette harmonie céleste. Les soucis et les travaux de la journée furent oubliés ; tous se sentirent remplis d’une nouvelle force pour les supporter le lendemain.

Lorsque le terme de leur vie, ou plutôt le passage naturel à une autre vie, était arrivé, ils ne chantaient pas, comme les cygnes, leurs propres funérailles. Ils attendaient le moment solennel dans un silencieux recueillement. Ils croyaient entendre cette voix bien connue qui les appelait au loin. Dans leurs visions rêveuses et fugitives ; ils sentaient l’air rafraîchi par un battement d’ailes : ils savaient que c’était leur partie immortelle qui, comme le phénix régénéré, prenait un nouvel essor.

Peu à peu, la population devint plus nombreuse : les besoins matériels s’accrurent en même temps. On fit donc travailler les moulins jour et nuit, de sorte que le bruit