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LE BOUDDHISME AU TIBET

antidote puissant contre le violent poison Hala-hala, dont les démons se servaient à cette époque, avec un malfaisant succès, contre l’humanité.

Pour se procurer ce contre-poison ils résolurent de baratter l’Océan avec le mont Mérou afin de faire venir à la surface l’eau de la vie. Ainsi fut fait et l’eau remise à Vadjrāpani, avec l’ordre de la tenir en sûreté jusqu’à une prochaine réunion, dans laquelle on devait distribuer cette eau bienfaisante aux humains. Mais le monstre Rāhou[1] (tib. Dachan), un lhamayin, entendit parler de cette précieuse découverte et ayant soigneusement épié les mouvements de Vadjrāpani, il saisit l’occasion d’une absence du dieu pour boire toute l’eau de la vie ; puis il s’épancha dans le vase devenu vide. Alors il s’enfuit aussi vite que possible et se trouvait déjà bien loin quand Vadjrāpani survint et, s’apercevant du larcin, se mit à la poursuite du coupable. Dans sa fuite Rāhou avait déjà dépassé le soleil et la lune, les menaçant de sa vengeance, s’ils s’avisaient de le trahir. Les recherches de Vadjrāpani étant infructueuses, il interrogea le soleil sur Rāhou. L’astre du jour répondit évasivement qu’il avait bien vu passer quelqu’un, mais qu’il y avait longtemps et, qu’il n’avait pas pris garde qui ce pouvait être. La lune répondit franchement, demandant seulement à Vadjrāpani de ne le point répéter à Rāhou. Sur ses renseignements le démon fut bientôt pris ; Vadjrāpani le frappa d’un tel coup de son sceptre que le corps fut fendu en deux ; la partie inférieure fut entièrement séparée.

Les Bouddhas se réunirent de nouveau afin de choisir le meilleur moyen de se débarrasser de l’urine de Râhou. La répandre eût été dangereux pour les vivants, à cause de la grande quantité de poison Hala-hala qu’elle contenait ; ils décidèrent que Vadjrāpani la boirait en punition de la négligence qui avait causé la perte de l’eau de la vie. Il dut s’exécuter et, par l’effet de cette boisson, son beau teint doré devint subitement noir. Il en conçut une haine violente contre tous les démons et particulièrement contre Rāhou, qui,

  1. Dans son Manual of Buddhismus, p. 58, Hardy a emprunté aux livres singalais les mesures fabuleuses du corps de Rāhou : « Rāhou a 76000 milles de haut ; 19000 milles de large entre les épaules ; sa tête a 14500 milles de tour ; son front 4800 milles de large ; d’un sourcil à l’autre, il mesure 800 milles ; sa bouche a 3200 milles de largeur et 4800 de profondeur ; la paume de ses mains a 5600 milles ; les phalanges de ses doigts ont 800 milles ; la plante de ses pieds 12000 ; du coude au bout de ses doigts, on mesure 19000 milles, et d’un de ses doigts, il peut couvrir le soleil ou la lune de façon à les obscurcir.