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ANNALES DU MUSÉE GUIMET

d’alphabet, tel qu’il s’employait dans l’Inde, dans le but de l’adapter à la langue tibétaine[1]. Heureusement revenu d’un voyage que l’on décrit hérissé de difficultés incroyables, Thoumi Sambhota compose les lettres tibétaines d’après l’alphabet devanagari ; après quoi le roi Srongtsan Gampo ordonne de traduire en tibétain les livres sacrés indiens traitant des doctrines bouddhiques[2]. À la même époque il rendit plusieurs lois dans le but d’abolir, une fois pour toutes, quelques-unes des grossières coutumes de ses sujets.

Dans toutes ces actions méritoires le roi Srongtsan Gampo était énergiquement soutenu par ses deux femmes, dont l’une était une princesse népalaise et l’autre Chinoise. Toutes deux montrèrent pendant leur vie le plus fidèle attachement à la religion du Bouddha, et sont révérées soit sous le nom général de Dolma (en sanscrit Tārā) soit sous les noms respectifs de Dolkar et de Doldjang. Ces princesses avaient, dit-on, apporté au Tibet, une quantité de précieux livres de religion, avec de merveilleuses images miraculeuses et des reliques de Sâkyamouni ; en outre elles ont bâti beaucoup de temples et de colléges[3].

  1. Les mauvais esprits forcèrent, dit-on, une première mission à reculer après avoir atteint la frontière. Sur les tentatives de Srongtsan pour former l’alphabet tibétain, voyez les notes de Schmidt sur « Ssanang Ssetsen », p. 326.
  2. Des remarques fort intéressantes sur la ressemblance des lettres capitales tibétaines avec l’ancien alphabet Devanagari, sont fournies par les tables comparatives de Hodgson dans ses Notices, As. Res., vol. XVI, p. 420, « Schmidt, Ueber den Ursprung der Tib. Schrift », Mém. de l’acad. de Pétersb., vol. I, p. 41. Csoma, Grammar, p. 204. — Thoumi Sambhota passe pour une incarnation du Bodhisattva Manjousri. Ce divin personnage, appelé en tibétain Jamjang, doit être envisagé sous deux points de vue. Il paraît avoir été un personnage historique qui enseigna les doctrines bouddhiques dans le Népal au viiie et au ixe siècle, après J.-C. ; mais il est aussi vénéré comme un être mythologique de la nature divine des Bodhisattvas (sa sakti est Sarasvati, tib. Ngagi Lhamo ; il passe pour avoir inspiré de sa divine intelligence plusieurs personnes qui ont contribué à la propagation des théories bouddhiques. Il est le dieu de la sagesse brandissant le « glaive de sagesse (tib. Shesrab ralgri), dont la pointe est enflammée pour dissiper les ténèbres parmi les hommes ». Les livres chinois disent de sa puissance : « Quand il prêche la grande loi, tous les démons sont vaincus, toutes les erreurs sont dissipées, et il n’est pas un hérétique qui ne retourne à son devoir. » Manjousri est aussi le « souverain de l’année », épithète qui vient de ce que le premier jour de l’année lui est consacré. Foc-ckoue-ki, p. 116. Comparez Hodgson, Classification of the Nevars, dans Journal. As. Soc. Beng., vol. XII, p. 216. Burnouf, Lotus, p. 498. Lassen, Indische Alterthumskünde, vol. III, p. 777.
  3. Dans les peintures, on les représente dans la même attitude le pied droit pendant devant le trône, la main droite tenant le lotus bleu Ouptala (Nelumbium speciosum), « Encyclopedia of India », par Balfour, p. 1291. Cette plante se rencontre à Kashmir et en Perse. Leur teint est différent. Dolkar est blanche, Doldjang est verte. Les femmes implorent Doldjang pour obtenir la fécondité, et c’est en allusion à cette vertu que, dans une de nos peintures, un plat avec des pommes amoncelées est dessiné à ses pieds. Le récit tibétain le plus complet des légendes qui concernent ces divinités se trouve dans le Mani Kamboum (voyez p. 53) et dans un livre intitulé, à ce qu’on a dit à Adolphe ; Un clair Miroir de généalogie royale. Un hymne à Doldjang est donné par Klaproth dans les Reise in den Kaucasus, vol. I, p. 215.