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délicat, habitué à de moelleux tapis, se pose sur ce rude sol ? Sur sa table on apporte un étain grossier que la plus petite femme de gentilhomme dédaignerait.

Paulet. C’est ainsi que son époux était traité à Sterlyn. tandis qu’elle buvait dans des coupes d’or avec son galant.

Kennedy. Nous manquons même d’un miroir.

Paulet. Tant qu’elle pourra regarder sa vaine image, elle ne cessera d’avoir de l’espoir et de l’audace.

Kennedy. Elle n’a pas de livre pour occuper son esprit.

Paulet. On lui a laissé la Bible pour corriger son cur.

Kennedy. On lui a enlevé même son luth.

Paulet. Elle s’en servait pour chanter des chants d’amour.

Kennedy. Est-ce là un sort pour celle qui fut élevée avec tant de délicatesse, qui dès son berceau était déjà reine, qui grandit au sein des plaisirs à la cour brillante des Médicis ? N’est-ce pas assez qu’on lui enlève sa puissance ? faut-il encore lui envier ses humbles récréations ? Dans une grande infortune, un noble cœur sait se retrouver, mais cela fait souffrir de se voir privé des moindres agréments de la vie.

Paulet. Vous ne savez que tourner du côté des vanités un cœur qui devrait rentrer en lui-même et se repentir. Une vie de volupté et de désordre ne peut s’expier que par les privations et l’abaissement.

Kennedy. Si sa tendre jeunesse a été fragile, elle n’en doit compte qu’à Dieu et à son cœur. Il n’y a pas de juges pour elle en Angleterre.

Paulet. Elle sera jugée aux lieux où elle a été coupable.

Kennedy. Coupable ! Elle n’a vécu que dans les fers.

Paulet. Cependant, du milieu de ses fers, elle sait encore étendre sa main dans le monde, secouer dans le royaume les brandons de la guerre civile, et armer