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Ennemie des malherbisants, elle n’épargne pas davantage les précieuses au nombre desquelles on l’a rangée à tort. À quoi bon « gehenner son stile, pour suivre le train des donselles à bouche sucrée » puisqu’elles-mêmes acceptent « soit en l’oraison soluë, soit en la poésie, infinies choses qu’elles ne disent pas » ? Quand elle entend prétendre que la rime ne doit pas seulement suffire à l’oreille mais encore contenter les yeux, Marie n’y tient plus et sa colère grave se change en un éclat de rire : « Veut-on rien de plus plaisant, s’écrie-t-elle, veut-on mieux deffendre de poetiser en commandant de rymer ? Car comment seroit-il possible que la poesie volast au ciel, son but, avec telle rongneure d’aisles, et qui plus est éclopement et brisement : puisqu’il est vray qu’on ne peut substituer nulles meilleures rymes en la place de ces premières, action, passion, pansion, ny si bonnes en celle de ces dernières, le blasme, l’ame et la flamme ? Faut-il pas dire aussi qu’ils ont, non bonne oreille, mais bonne veuë pour rymer : dont il arrive, qu’il nous faille un de ces jours escrire des talons, et dancer des ongles ? »

Les puristes ne sont pas mieux traités que les rimeurs. Mademoiselle de Gournay n’a pas de mots assez forts pour les flétrir. Elle sourit de ces gens qui corrigent les Essais et qui blâment leur auteur d’avoir fait usage de la langue entière tandis qu’eux n’en admettent que la moitié. Quelle petitesse que de reprocher à Montaigne trois gasconismes volontaires, quelques mots hardis ou vieux, un latinisme,